Chapitre 2

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Deux jours plus tard...

Je remonte ma fermeture éclair, enfile mes baskets et me dirige vers la porte en soupirant. C'est un de ces jours ou j'ai juste envie de me recoucher et de dormir toute la journée pour ne pas affronter la réalité. Aujourd'hui, c'est les vacances. Et les vacances, ça veut dire une semaine chez papa, à l'entendre me demander toutes les deux minutes si je suis sûre que ça va, et entendre Maria me rabâcher les oreilles chaque seconde sur à quel point j'ai maigri et que je devrais manger quelque chose si je ne veux pas finir comme ces « affreuses mannequins à la mode qui bouffent que de la salade ». Je descends les marches quand je me fais interrompre par ma mère : « Oublie pas de dire à ton père qu'il doit encore me payer la pension alimentaire du mois passé ! » Merci maman, c'est vrai que j'ai que ça à faire et que tu ne peux pas l'appeler pour le lui dire toi-même. Je franchis la porte d'entrée et je me dirige vers l'arrêt de métro. Je déteste le métro. Je peux être sûre que ce sera blindé et que je vais au moins me faire aborder par trois hommes la quarantaine passée qui vont me faire je ne sais pas quelle proposition indécente ou simplement me reluquer de haut en bas comme un vulgaire morceau de viande. J'entre dans le wagon et comme je m'y attendait, l'odeur de tabac froid et de transpiration m'assaille et je dois jouer des coudes pour me faire un peu d'espace. En revanche, étonnamment je ne me récolte ni regard ni commentaires désobligeant de personne, si ce n'est une femme qui me regarde étrangement depuis tout à l'heure. En sortant du métro, elle me bouscule légèrement et je vois une quelque chose tomber de sa poche. Je la hèle mais elle s'est déjà mêlée à la foule du quai. Je me penche pour voir ce qu'elle a perdu et je vois que c'est un porte-monnaie. Eh merde, ce n'est vraiment pas mon jour. Je l'ouvre pour trouver son identité ou un numéro de téléphone, et je tombe sur ce que je comprends être une carte de visite. Adèle Clair, psychothérapeute. Je trouve son numéro et j'essaye de l'appeler, mais je tombe directement sur le répondeur : « Vous êtes bien chez Adèle, je ne suis pas disponible pour l'instant, mais veuillez laisser un message et je vous rappellerais dès que possible. Je rappelle que mes horaires d'ouvertures sont du lundi au jeudi, de huit heures à dix-sept heures trente. » Évidemment, avec la chance que j'ai, on est dimanche. Je ne sais pas pourquoi à ce moment je ne suis pas allée simplement apporter le porte-monnaie au commissariat. Quelque chose me disait que je devrais aller le lui rapporter moi-même. Je repense à son regard dans le métro. Il avait quelque chose d'à la fois insistant et doux. Un regard qui parle sans avoir besoin de mots. Je me sens étonnamment d'humeur presque un peu plus légère. Bon, j'irais le lui rendre demain à la première heure, ça m'évitera de devoir passer toute la journée chez papa. Je décide de retarder un peu mon arrivée chez lui en errant dans la rue à la sortie de la station de métro, sans destination précise.

Après une bonne dizaine de minutes à marcher sans savoir où je vais, je m'arrête à un coin de rue où un sans-abri est assis sur un carton, un livre aux pages écornées à la main. Il a devant lui un gobelet en carton, dont le fond est maigrement rempli des quelques pièces reçues de la part des passants moins indifférents, ou simplement satisfaits dans leur hypocrisie de se soulager la conscience en donnant une petite pièce à un « malheureux ». Sa tenue usée et sa posture fatiguée montrent une histoire difficile, mais je suis intriguée par la présence d'un livre entre ses mains, et par l'impression de calme qu'il dégage. Je m'approche, hésitante. Puis, je me rappelle du porte-monnaie que j'ai trouvé dans le métro. J'en sors l'intégralité des billets que j'y trouve, me disant que madame Clair n'en sera surement pas sur la paille avec son salaire de psychologue. Je les lui tends, et il lève la tête, surpris. Je suis immédiatement frappée par son regard. Ses yeux gris sont remplis de paix. Une paix profonde et remplie d'amour, qui se heurte de plein fouet avec mon humeur maussade, remplie de haine et de tristesse. Je tente de reprendre contenance et de m'en aller sans un mot, mais c'est alors qu'il prend la parole :

- Pourquoi ?

- J'imagine que vous en avez plus besoin que la propriétaire de ce porte-monnaie, je me trompe ?

- Tu n'as pas tort, mais il ne me semble pas que ton argent me rendra plus heureux, si je m'en fie au désespoir que tu dégage. Crois-tu que je sois malheureux dans ma condition ?

- Vous n'en avez pas l'air. Comment est-ce possible que vous sembliez si tranquille malgré la vie que vous devez avoir ?

- Ne confond pas la vie et le monde, ce n'est pas la même chose. C'est quelque chose que malheureusement parfois les gens n'arrivent pas à clarifier dans leur esprit et dans leur conscience. 

Pendant un instant, je me dis qu'il ne doit pas être sobre, qu'il dit vraiment n'importe quoi. Mais autant l'écouter que de rester seule avec mes pensées, alors je demande :

- Je ne comprends pas. C'est quoi la différence alors ?

- La vie, c'est le cosmos, c'est tout. La vie, c'est le cadeau merveilleux d'exister de la manière la plus étrange et merveilleuse possible C'est le fait d'avoir été choisi parmi 600 millions de candidats spermatozoïdes, de venir à la vie de l'infiniment invisible à cette réalité.

- Et le monde, alors ?

- Le monde, c'est le monde des conventions, c'est la société, c'est les civilisations, c'est comment on organise notre vie sur cette terre, donc ce n'est qu'une toute toute petite partie de la vie, même si cela prend souvent une partie trop importante dans notre quotidien et dans notre conscience de la réalité. Mon monde est compliqué, parfois, comme il l'est pour beaucoup de gens, mais je vis, c'est tout, et cela me rend heureux.

Facile à dire. Ses mots me perturbent, mais il n'empêche que chance ou pas chance d'exister, ce n'est pas ça qui retient les gens de mettre fin à leurs jours. J'aimerais parfois juste appuyer sur l'interrupteur de la vie pour faire cesser toute douleur. Ça me parait impossible qu'il n'ait jamais songé à arrêter tout, fin je veux dire, vivre sur un banc, quand même. Je n'arrive pas à retenir la question qui franchit mes lèvres :

- Vous n'avez jamais voulu mourir, espéré que les difficultés s'arrêtent ? Pourquoi j'aimerais en finir, moi, parfois, alors que j'ai beaucoup plus de chance que vous ?

- Ce n'est pas une question de chance. Au fond de notre culture, nous avons tous une pulsion de vie et une pulsion de mort, -décrit par Freud, ajoute-t-il en désignant son livre-.

Ah, un grand philosophe, donc. J'ai toujours trouvé dingue comment des gens qui ont tout soient cons comme des balais, et que certaines personnes qui n'ont même pas de quoi bouffer trouvent l'énergie de lire de la philosophie. Moi je n'ai jamais vraiment aimé la philo. Toujours lire des livres d'auteurs qui ont vécus des siècles avant nous alors qu'on a plus du tout la même culture, ça m'a toujours paru dépassé, pour ne pas dire inutile. Mais je dois dire que c'est aussi sûrement dû au manque d'attention que je portais aux cours, mais bon en même temps, j'avais des heures de sommeil à rattraper. Je lui demande quand même :

- Expliquez-moi.

- La pulsion de vie, on la sent comme un instinct naturel de survie, de vouloir vivre. Mais la pulsion de mort, elle n'est pas loin. La pulsion de mort, c'est ce qui nous fait nous dire que ce serait mieux de disparaitre parce que dans certaines conditions on ressent trop de fatigue, trop de désillusion, trop de désenchantements, et on a peur, peur d'un côté de devoir affronter cela. De l'autre côté, notre société idéalise souvent le suicide comme un acte courageux, comme une délivrance dernière, comme un acte de liberté, que personne ne peut nous arracher, donc on idéalise le suicide et malheureusement cela peut avoir un impact sur les gens sensibles, sur les personnes qui veulent faire preuve de courage, le courage de détachement, le courage de faire autrement, le courage de se suicider. Alors qu'en fait, il ne s'agit pas de courage, il s'agit d'un désespoir.  C'est renoncer à faire le choix de vie. Fais un choix de vie. Si de toute façon on va tous mourir et que la vie est courte, à quoi bon de se suicider ?

Vire sans toiWhere stories live. Discover now