Chapitre 3.
Comment diable s'était-elle retrouvée à l'autre bout de la ville ? Yasha se souvenait parfaitement où se situait le lieu de rendez vous, et maintenant il se trouvait à presque un quart d'heure en voiture de la position actuelle !
Elle soupira, se secoua un grand coup et se mit en route. Elle devait évidement marcher pour rentrer... L'adresse sur le carton d'invitation se trouvait à quelques centaines de mètres de chez elle, a aucun moment elle n'aurait imaginé ce genre de surprise et avait naïvement laissé son portefeuille chez elle. Une chose était sûre, elle ne ferait plus jamais cette erreur. Au besoin, les deux heures de marches à venir lui fourniraient une magnifique piqûre de rappel. Trêve de bavardages. Quitte à être là, autant profiter de la ballade.
Elle remonta la ruelle dans laquelle elle avait débarqué et s'engagea tranquillement dans le flot humain de l'artère voisine. Elle se laissa porter un moment par le flux de corps indistincts. Elle parvint même à apprécier le moment, son regard papillonnant de tête en tête, essayant de deviner ce que ressentaient les passants. Elle flâna ainsi quelques minutes, passant de vitrine en vitrine avant de sursauter.
Elle connaissait cette sensation. Fouillant son environnement du regard, elle trouva rapidement l'objet de ses recherches. Comment diable avait-il pu la retrouver ici ? Et surtout aussi rapidement ? Un doute lui effleura l'esprit, qui grandit et devint une certitude. Ils l'avaient traquée. Restait à déterminer comment.
Yasha se renfrogna. La direction que prenait ses pensées ne lui plaisait pas du tout. Qu'ils se soient permis ce genre de privauté la faisait bouillir de rage, et elle allait leur montrer de quel bois elle se chauffait. Elle quitta la rue bondée pour entrer dans un petit parc, qui s'avéra être désert. En même temps, l'heure tardive n'encourageait pas vraiment les promenades en famille. C’était parfait pour ce qu'elle comptait faire.
Elle s'installa sur un banc et attendit, fixant la direction où elle savait que se trouvait son espion en herbe. (la tournure de syntaxe ne va pas mettre "elle savait que se trouvait" je ne trouve ça très français en correction "Elle s'installa sur un banc et attendit, fixant la direction où se trouvait son espion en herbe.") Le vampire habituel apparut au bout de quelques secondes et s'assit à ses côtés en soupirant. Il avait vraiment l'air de ne pas apprécier de se faire repérer aussi vite. Pauvre chou. La jeune femme était trop remontée pour se soucier des états d'âmes du type qui la toisait comme si elle n'était qu'une gamine en plein caprice. La discussion s'annonçait épique. Il attaqua d'ailleurs le premier.
- Comment fais-tu, bon sang ?
- Nous avons déjà eu cette discussion, je ne vois pas l’intérêt d'y revenir.
- Dans ce cas, arrête d'agir aussi stupidement ! Je t'ai dis la dernière fois que tu avais attiré l'attention de pas mal de monde, et pourtant tu te précipites au milieu du premier groupe qui t'envoie une invitation. Tu ne réfléchis pas ! As-tu seulement la moindre idée des conséquences de tes actes ?
- Donc, tu me suivais bien.
- Pour te protéger !
- Ça c'est ce que tu dis, moi je le vois plus comme un moyen de me contrôler, mais devine quoi ? Je ne veux rien avoir à faire avec ton organisation.
- Tu étais pourtant bien contente qu'on vienne à ta rescousse quand tu étais prisonnière...
Pardon ? Il se foutait de qui là ? Leur petite opération avait ruiné tout leur plan d'évasion et failli faire tuer Aliénor. Et cet abruti osait s'ériger en grand sauveur de la damoiselle en détresse ? C'était à se demander quelle drogue ce foutu commando mettait dans les rations de ses hommes pour rendre leur comportement aussi aberrant. La jeune femme bouillait littéralement de rage.
Ceci dit, elle n'avait aucune intention de gaspiller sa salive à l'expliquer à ce soi-disant Sergeï, elle ne lui devait rien. Et pour le moment, il n'était rien de plus qu'une épine dans son pied, pour être polie. Pendant qu'elle était plongée dans ses réflexions, le gars avait poursuivi son monologue et vantait les brillantes capacités de leadership de son commandant, soi-disant le plus brillant des hommes ayant jamais foulé cette terre. Mais bien sûr... Les hommes avait vraiment un problème avec leur complexe du héros. Et le pire, c'est qu'ils contaminaient les plus jeunes.
- ...Et donc, comme c'est un grand homme, il est disposé à t'accorder sa protection et te permettre de rejoindre le groupe, même si tu n'est pas une combattante aguerrie. Tu vois, il est près à affaiblir le collectif pour la sécurité d'une seule personne. Il a vraiment un cœur en or...
À ce stade, Yasha avait presque envie de fuir à toutes jambes. Un tel conditionnement était terrifiant. Il avait pourtant l'air sain d'esprit lors de leur dernière discussion, sarcastique et excessivement agaçant, mais il n'avait pas montré ce côté midinette qui suintait de toutes ses pores. Ses bonnes manières ne firent pas long feu, elle finit par craquer et le coupa dans son argumentaire.
- Oui, oui. Bien sûr, un homme formidable. Et sa décision n'est, bien évidemment, pas du tout motivée par l'idée d’intégrer une ... comment m'as-tu appelée la dernière fois déjà ? Ah oui, une sensitive, à son panel de compétence. C'est de la pure bonté d'âme. Tu me prends vraiment pour une idiote ?
- Ça n'a rien à voir ! Notre but est de protéger les faibles !
- Jolie vitrine, les intentions affichées sont louables, mais nous savons tous les deux que c'est faux.
- Tu ne sais ri-
- Ce que j'ai vu m'a suffit, vous avez failli nous tuer toutes les deux ce jour-là. Alors que nous n'avions rien fait. Strictement rien.
- Cette créature est une aberration, elle doit être renvoyée d'où elle vient !
- Touchez à un seul de ses cheveux et je deviendrai votre pire ennemie, quitte à vendre mon âme et à donner à ces monstres ce qu'ils cherchent si ardemment.
- Tu ne ferais pas ça, ça détruirait le monde.
- Tu n'as aucune idée de qui je suis et de ce dont je suis capable. Un conseil, Draculito, ne me cherche pas trop longtemps, tu ne vas pas aimer le résultat.
Yasha arrivait à la limite de sa patience. Elle ne supportait pas qu'on menace ses amis. Et Aliénor entrait définitivement dans cette catégorie désormais. Que ces enfoirés aillent se faire foutre. Elle reprit donc avec une ardeur renouvelée.
- Et pour en revenir à ta si merveilleuse proposition, saisis bien l'ironie de mes paroles s'il te plait, pourquoi devrais je adhérer à une organisation dont je ne connais ni le nom, ni le but, et encore moins les membres ? Pour ce que j'en sais vous êtes peut-être une branche obscure de je ne sais quoi affiliée au groupe de monstres qui m'a kidnappée à Milan !
- Nous sommes la brigade Fantôme, nous n'avons pas réellement d'existence, personne ne sait qui nous sommes et cela doit rester ainsi. Nous disparaissons dès que la mission est terminée. Le fait que tu connaisses mon prénom et mon visage est une exception à la règle absolue de notre équipe, et ça dérange pas mal de monde, mais tu ne m'as pas laissé le choix.
- Le nom que tu as bien voulu me donner, rien ne me prouve qu'il s'agisse du vrai...
Le sourire en coin qu'il lui adressa était à lui seul une réponse en soit. À part son visage et sa nature, elle ne savait strictement rien de lui. Et pourtant, il lui affirmait que c'était déjà beaucoup trop. Qu'est-ce que c'était que cette secte flippante ?
- Enfin bref, reprit-elle, ne me suivez plus. Je ne sais pas comment vous vous y prenez mais je vous interdis de me prendre en filature comme vous le faites. J'ai des droits et j'entends bien les faire respecter.
- Tu n'as pas ton mot à dire là-dessus. Le chef attends ta réponse dans une semaine maximum. Passé ce délai il considérera que tu refuses et te classera automatiquement dans la liste des menaces potentielles. Un petit conseil à mon tour, tu ne veux pas te retrouver dans le collimateur du commandant. Vraiment pas.
- Des menaces maintenant ? Où est donc passé le laïus concernant la protection des plus faibles ? Si un refus est synonyme de mise à mort, ce n'est rien de plus que de la coercition !
- Ce n'est rien de tout ça, ce n'est qu'une mise en garde. Ta petite personne n'a pas assez d'importance pour risquer le sort de l'humanité tout entière en laissant aux frères la possibilité de te mettre la main dessus... eux ou n'importe qui d'autre d'ailleurs.
- Merci pour l'info, ça reste un non. Allez voir ailleurs si j'y suis.
Sur ces bonnes paroles, elle se leva et quitta le parc avant de laisser à "Sergeï" l'occasion de poursuivre cette déplaisante conversation. Il fallait qu'elle s'organise, et vite. Mais avant ça elle avait des choses à avouer à sa meilleure amie, et ça n'allait pas être une partie de plaisir. Sacha allait se retrouver au cœur de ses problèmes si Yasha restait près d'elle, et connaissant sa tête de mule de meilleure amie, un simple "j'ai besoin d'espace" ne fonctionnerait pas.
Elle était consciente qu'elle risquait de se retrouver à la rue et de perdre celle qu'elle considérait comme une sœur, mais elle refusait tout bonnement de mettre Sacha en danger, même de façon hypothétique. Bien que la supposition ne soit qu'une façon de se voiler la face. Elle serait bientôt au cœur d'une chasse à l'homme dont elle était le trophée. La reine des ragots ne méritait pas cela. Sa personnalité était bien trop solaire pour qu'elle ait le moindre ennemi. Et elle avait pourtant la langue bien pendue.
Elle y réfléchit pendant (sur) tout le chemin du retour, hésitant sur la meilleure façon d'aborder le sujet, changeant d'avis un nombre incalculable de fois. Mais avec sa meilleure amie, la méthode frontale restait la meilleure solution. Elle rentra directement sans faire de pause et ne se détendit réellement qu'une fois la porte d'entrée verrouillée. Ce qui était ridicule, un simple panneau de bois n’arrêtait déjà pas un voleur motivé alors un vampire... Mais psychologiquement, ça lui faisait du bien, donc le verrou restera bien en place.
Sacha et Aliénor se trouvaient toutes les deux au salon. C'était parfait, l'aide de la reine ne serait certainement pas de trop pour démêler le sac de nœuds qu'était cette histoire. Elle s'avança vers les deux femmes et leur demanda si elles avaient un moment à lui accorder. Devant son air grave, elles acquiescèrent immédiatement. Sacha se mit à la scruter et à l'inspecter sous toutes les coutures. Elle avait deviné que Yasha était préoccupée et se rongeait les sang rien qu'à la posture de la journaliste, lui faisant craindre la suite.
Prenant place dans un fauteuil en face de sa meilleure amie, Yasha faillit se dégonfler. Elle était terrifiée par la réaction que sa vis-à-vis pourrait avoir, pour autant elle ne voulait pas l'écarter de sa vie en lui mentant, même par omission. Après une profonde inspiration et une gifle mentale, elle se lança.
- Te souviens-tu de mon enlèvement à Milan ?
La question était brutale. Les yeux de Sacha se voilèrent instantanément en réponse aux souvenirs qui l'assaillirent. Et il s'agissait visiblement de quelque choses dont la jeune femme ne tenait vraiment pas à se rappeler au vu de sa grimace. Elle fusilla son amie des yeux et rétorqua agressivement.
- Oui. Très bien. Et c'est terminé, donc je ne vois vraiment pas l’intérêt de remettre ça sur le tapis maintenant. Ni jamais d'ailleurs. Jamais me convient parfaitement à titre personnel...
- Ce n'est pas terminé. J'ai dit à la police que je ne savais pas pourquoi ils m'avaient enlevé mais j'ai menti. C'est juste que la réalité est tellement tordue qu'ils m'auraient prise pour une folle.
- Oui parce que tu as l'air tellement saine d'esprit, là tout de suite...
Le sarcasme l'atteignit en plein cœur. Elle n'avait jamais été la cible de la célèbre répartie de son amie jusque là et cette grande première était vraiment douloureuse, bien plus que la phrase elle-même.
- C'est parce qu'il te manque des informations. Laisse-moi parler et pose tes question ensuite. Deal ?
Sacha sembla hésiter un instant avant de se décider.
- Deal.
- Tu te souviens quand je suis allée voir un ophtalmo pour mes yeux ?
Elle attendit que sa colocataire acquiesce avant de poursuivre.
- Eh bien, il s'est avéré que ce n'était pas un problème physique. Les couleurs que je vois, ce sont en fait une indication sur l'humeur ou la nature des gens. Par exemple, là ton aura est rouge vif. Même si je ne saisis pas encore bien les nuances, le rouge représente une émotion forte, probablement la colère dans ton cas. Le type qui m'a enlevé n'est pas un gars normal non plus, c'est un tordu qui relève les morts pour en faire ses esclaves, et il veut se servir de moi pour trouver une espèce de livre très dangereux.
Yasha voyait bien que son amie ne croyait pas un mot de ce qu'elle disait. Elle se tourna vers Aliénor avec un regard suppliant. Elle n'allait pas y arriver seule. La reine se leva subitement et attrapa un couteau qui se trouvait sur la table avant de se le planter dans le ventre.
- NON !
Les deux amies avaient été parfaitement synchrones dans leur tentative pour empêcher Aliénor de se faire du mal. Mais celle-ci écarta ses mains : la blessure était en train de guérir à vue d’œil. Il ne resta bientôt qu'une faible trace de sang, un trou dans la robe, et une peau parfaite et dénuée de toute blessure.
- C'est l'un des avantages d'être bloquée entre la vie et la mort. Sauf destruction complète de mon corps, je finirai toujours par me régénérer, peu importe le temps que cela prendra.
La réalisation fit son chemin dans l'esprit de Sacha. C'était inconcevable... et pourtant, elle venait d'en avoir la preuve irréfutable sous le nez. Elle resta plongée dans ses pensées de longues minutes avant de se secouer et regarda sa meilleure amie avec détermination.
- Ok, réexplique moi tout ça depuis le début. explique moi tout depuis le début
Yasha reprit donc son histoire, n'omettant aucun détail et précisant chaque point en rapport avec le surnaturel qu'elle avait pu rapprocher à ses mésaventures. Elle se rendit compte que, mis bout à bout, il y avait quand même eu pas mal d’interférences dans sa vie pour un "pouvoir" dont elle se contrefoutait et qu'elle n'avait surtout jamais demandé à avoir.
Elle n'eut pas conscience des larmes qui se mirent à couler sur ses joues lorsqu'elle aborda son enlèvement. Elle avait tout refoulé pour ne pas sombrer, mais en reparler avait fait ressurgir le traumatisme. Sacha se précipita vers elle pour la prendre dans ses bras, très vite imitée par Aliénor.
- Bien, au moins nous sommes fixées, qu'allons-nous faire maintenant ?
Yasha écarquilla les yeux et regarda sa meilleure amie. Comment ça "nous" ? Elle ne les mettait pas dehors ? Pour autant, pouvait-elle l'accepter ? Le danger allait pointer le bout de son nez, c'était une question de jours, peut-être même d'heures.
- Aliénor et moi allons partir, tu seras en danger si-
- Hors de question, vous allez rester ici et on va trouver un moyen de vous sortir de ce guêpier.
- Mais -
Elle fut à nouveau interrompue, cette fois par la main de Sacha posée directement sur sa bouche.
- Non, toi tu te tais. Il n'est pas question que tu partes pour me protéger, tu m'entends ? On est ensemble depuis toujours et ça ne va certainement pas changer aujourd'hui, malgré ton truc abracadabrantesque sorti de nulle part.
La journaliste ne put qu'acquiescer, émue, avant de partir dans un fou rire nerveux. Ses nerfs lâchaient les uns après les autres. Elle entraina bien vite les deux autres femmes avec elle durant de longues minutes.
- Bon par contre, va falloir se bouger les fesses mes jolies, reprit Sacha. Je peux m'occuper de la partie recherche si vous avez des infos à me fournir, mais pour tout le bordel magique c'est à vous de jouer. Et on a du pain sur la planche si j'ai bien compris.
VOUS LISEZ
La vie d'une sorcière, c'est galère
Mystery / ThrillerQue faire quand on a une poisse d'enfer ? Quand même un sacrifice rituel ne suffirait pas à rééquilibrer vos chakras et que la vie s'acharne à vous prouver que si, si si, ça peut encore être pire... Yasha devra composer avec ce qu'elle a pour surviv...