#1
Farid
Font Vert, MarseilleC'était l'été 1995. J'avais tout juste neuf ans. Le soleil tapait fort ce jour-là, comme souvent à Marseille en plein mois de juillet, rendant les rues étouffantes et le macadam brûlant sous nos baskets trouées. L'air était lourd, l'asphalte déformé par la chaleur, et le bruit des scooters résonnait dans tout Font Vert.
Demba et Vincent nous attendaient au city-stade, mon frère et moi. Une cage de foot en bas des tours, entourée de grillages rouillés qui grinçaient à chaque coup de vent. C'était toujours la même routine : vers deux-heures de l'après-midi, on retrouvait nos potes pour jouer au foot et traîner un peu, loin de chez nous et de la galère.
On était arrivés en retard, un ballon sous le bras, essoufflés avant même d'avoir commencé à courir. Demba nous saluait toujours avec ce grand sourire, battant des pieds comme s'il ne pouvait jamais attendre. Vincent, lui, restait assis sur le banc en béton, lançant violemment des cailloux contre le grillage, sans un mot. Lorsque Demba lui fit signe pour l'avertir qu'on était là, il se redressa de son banc et joignit ses mains autour de sa bouche pour faire porter sa voix.
Vincent - Vous traînez, les gars ! Qu'est-ce que vous foutez !
Amir et moi sourîmes, une perle de sueur glissant le long de nos tempes. La chaleur était lourde, mais ça faisait parti du quotidien ici. Le ballon glissa de mes bras, roulant doucement jusqu'aux pieds de Demba qui l'attrapa sans hésiter.
Amir - Ouais, désolé. C'est Bilal qui nous a saoulés ! On doit rentrer pour vingt heures !
Vincent - Et alors ?
Amir - Bah, t'es bête ou quoi ? C'est notre grand frère. Moi, en tout cas, je l'écoute.
Demba - C'est pas grave, les gars. Allez, on se fait un deux contre deux !
Vincent en acquiesçant - Toi et moi contre Amir et Farid ! Mais si vous perdez, commencez pas à dire que c'est à cause de la chaleur, hein ! C'est parce que vous êtes arrivés à la bourre, c'est tout !
- Non ! On fait un "qui marque va au goal" ! Vincent il a trop un balai dans l'cul, aujourd'hui ! Si on gagne, il va encore chouiner comme sa vieille sœur !
Vincent - Parlez pas d'ma sœur !
Son ton était acide, mais on avait l'habitude. Il parlait toujours comme ça, même quand il n'y avait rien de méchant. C'était juste sa façon d'être, toujours un peu tendu, comme s'il attendait que quelque chose explose. Nous, on a éclaté de rire. Parce que tout le monde savait comment le faire marcher, et que personne ne le prenait au sérieux.
Au fond, on savait qu'il laissait parler sa colère à la place de sa tristesse. Ici, c'était pareil pour tout le monde. Mais personne ne posait de questions. Chacun portait sa propre misère, et ça se lisait dans nos yeux pétés, comme si le poids de nos épreuves nous serrait la trachée.
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Kilodrame
General FictionFarid, jeune homme des quartiers nord de Marseille, grandit dans un environnement qui le condamne d'avance. À chaque coin de rue, dans chaque regard, dans chaque silence, il ressent la dure loi de la rue : ici, les rêves se fanent vite, mais la doul...