Chapitre Ier

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Sous la pluie battante, la nuit du 25 janvier, au cinquième étage de l'hôpital Seymour, Alexander Lee ouvrit les yeux après deux mois de coma.

Suite à un terrible accident lors d'une escapade au cœur des Rocheuses suisses, lui et sa tendre épouse Sarafina avaient fait une violente sortie de route lorsqu'une voiture noire, sortie du virage derrière la montagne, les avait violemment percutés en allant à contresens, les projetant du haut de la falaise.

Elle s'en était sortie avec les quelques fractures qu'un corps en bonne condition physique pouvait guérir en trois semaines.
Lui, en plus de sévères contusions, sa commotion cérébrale avait failli le tuer.
Heureusement, ils avaient été secourus à temps. Le coin étant moins désertique qu'il n'y paraissait.
Par chance ou ironie du sort, ils avaient subi ce sinistre accident à proximité du meilleur hôpital privé du pays. Très reculé, très discret, l'établissement n'était présent sur aucune carte. Les gens de l'ombre pouvaient payer très cher pour garantir leur intimité et celle de leurs proches dans un endroit si confidentiel. Pourtant, il accueillait systématiquement ceux qui pouvaient payer leurs soins.
Pas que Sarafina et Lex aient eu le choix... mais l'hôpital Seymour leur avait tout bonnement sauvé la vie.

-Madame ? ... Vous n'avez pas mangé.

- ...

- Madame Lee ?

-... Pourquoi est-ce qu'il ne se réveille pas ?

-Votre mari était dans un état extrêmement critique lorsque nous l'avons pris en charge. Le rondin qui a traversé le pare-brise l'a atteint à la tête... Ses signes vitaux sont stables, mais... Nous ne pouvons pas le sortir du coma par nos propres moyens. Je suis navrée, Madame Lee.

Elle ne répondit pas, une unique larme tiède roulant sur sa joue.

Un mois plus tard, guérie de ses blessures, Sarafina repoussa son départ le plus longtemps possible, écœurée à l'idée même de devoir quitter celui qu'elle aimait alors qu'il était dans cet état.
Mais elle possédait une société et des employés qui comptaient sur elle pour ne pas se retrouver au chômage.

Elle avait, comme son tempérament l'exigeait, rationalisé la situation. Alexander était déjà dans l'un des meilleurs hôpitaux, pris en charge et surveillé par un personnel qualifié, sa vie n'était plus menacée et à part le fait d'être prisonnier d'un coma dont il ne pourrait peut-être jamais se réveiller il-...

Rationaliser était une horreur.

Se rendre compte de cet état de fait lui avait juste donné encore plus envie de hurler. De taper dans les murs, de s'arracher les yeux pour ne plus avoir à faire face à son mari, perdre lentement du poids et des couleurs sur ce répugnant lit d'hôpital.

Elle était restée aussi longtemps qu'elle l'avait pu, travaillant à distance. Mais certaines choses à Singapour ne pouvaient pas se régler à travers un écran d'ordinateur. Il fallait qu'elle reparte.
Seule.
Elle avait essayé de le faire revenir, un nombre incalculable de fois, d'une multitude de manières différentes... Lui prendre la main, la serrer, elle avait prier...
Elle lui avait parlé d'un air enjoué pour l'inciter à se réveiller, comme les premiers mois de leur mariage où il avait eu tant de mal à se réveiller le matin.
Elle avait fini par comprendre à l'époque que s'il n'était pas du matin, c'était parce qu'il travaillait beaucoup trop la nuit. Énormément. Dans le salon, avec trois ordinateurs et un disque dur. Elle ne connaissait pas réellement les tenants et aboutissants de son métier, il lui avait juste assuré que ce n'était rien d'illégal pour clore la discussion.

Elle lui avait ensuite parlé en le menaçant, le prévenant que s'il ne sortait pas de ce lit d'hôpital, elle allait se trouver un nouveau mari parmi les docteurs.

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