Chapitre 1

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Ni le cadet ni la benjamine ne vinrent nous saluer à notre arrivée au manoir. Malgré l'absence de ces deux membres, le reste des Waverley nous accueillirent juchés à la cime de leur grand escalier. Leurs yeux, d'un bleu saphir intense, étaient rivés sur nous, tandis que des sourires éclatants, dignes des vedettes en couverture des magazines, soulignaient leurs visages déjà parfaits. Leur aura charmante réussissait aisément à occulter le jardin envahi par les mauvaises herbes et la pierre ternie de la bâtisse. J'avais parcouru d'anciennes photographies du domaine Saint-Georges à son apogée, mais les vestiges de ce qu'avait pu être jadis ce haut lieu ne trompaient pas. Les statues des ancêtres, la fontaine desséchée, les parterres de fleurs désormais fanés... mais aussi le blason des Waverley, sculpté partout où il pouvait l'être : sur les façades des marches, sur les volets des fenêtres, et au-dessus de la grande porte d'entrée.

Rose avait fantasmé la vie de princesse lorsque nous étions enfants, et il fallait croire qu'elle n'en était plus bien loin maintenant qu'elle avait épousé le fils d'un comte.

— Voilà enfin les Ainsworth ! se réjouit William en s'approchant de nous, un bras protecteur autour de ma sœur. Henry, débarrasse donc nos invités de leurs affaires.

Un vieux majordome s'occupa de nos valises sans décocher un seul sourire, tandis que ma grande sœur se précipita dans mes bras, rayonnante et rieuse, sa longue jupe voletant dans son sillage.

— Oh, Tori, comme tu m'as manqué ! Ça fait drôle de ne plus t'entendre jacasser à longueur de journée, tu sais ?

— Ne t'en fais pas, oncle Richard a pris la relève et il n'y a pas une seule seconde qui passe sans que je ne l'abreuve de choses plus fascinantes les unes que les autres, m'amusai-je en lançant un regard malicieux à l'intéressé.

Mon oncle, qui tenait plus du Basset Hound que de l'homme avec son expression perpétuellement désabusé, se contenta de lever les yeux au ciel.

— Navrés pour le retard, s'excusa-t-il de son ton un peu bourru en tendant sa grosse patte au chef de famille. À peine avons-nous quitté Londres que le train s'immobilise pendant presque une heure...

Charles, le comte Waverley en personne, tapota d'un geste amical l'épaule de mon oncle, avant de m'adresser le même type de sourire engageant que son fils aîné savait si bien faire.

— Ne vous en faites pas pour cela, l'important est que vous soyez arrivés à bon port. Et vous, mademoiselle Victoria, pas trop fatiguée ? Pouvons-nous compter sur vous pour le dîner ?

— Oh aucun problème de mon côté, assurai-je d'un ton badin. Je me joindrai à vous avec grand plaisir étant donné que mon oncle chéri a tout bonnement refusé m'accompagner aux voitures de restauration et que je suis actuellement en train de dépérir de faim.

Richard me lança l'un de ses regards qui signifiaient que je commençais à un peu trop prendre mes aises, mais heureusement pour moi, les Waverley étaient un bien meilleur public que mon gardien. La belle Eleanor, tirée comme toujours à quatre épingles, en profita pour s'approcher de moi avec grâce et calme.

— C'est tant mieux alors, car nous craignions avoir trop préparé étant donné qu'Alphonse et Alice ne se joindront pas à nous ce soir, dit la tante de William en posant sa main manucurée sur mon bras. Nous vous resservirons avec plaisir si cela peut aider à apaiser votre faim.

Je suivis l'élégante dame et l'écoutai me décrire l'alléchant menu du jour pendant que je jetai des coups d'œil aux portraits de famille qui ornaient le long vestibule qui menait aux autres pièces. Les Waverley semblaient avoir été dotés de traits avantageux de génération en génération, et j'avais une impatience narcissique de constater de mes propres yeux à quoi ressembleraient mes futurs nièces et neveux. Le parquet en bois n'aurait cependant pas refusé un peu de vernis et craqua sous chacun de mes pas jusqu'à ce que nous pénétrions enfin dans la salle à manger au papier peint damassé. Une petite domestique aux cheveux roux sursauta à notre vue, avant de nous saluer nerveusement et nous placer.

Ma sœur et les WaverleyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant