AURORE
« Le plaisir de se lever le matin provient de la joie d'apprendre. » J'adore Aristote, mais quel con.
Le réveil de ce matin m'a presque autant agacée que ce type dans le métro avec son sourire niais qu'il arborait en lisant « La délicatesse » de David Foenkinos.
Je pestais dans mes pensées en arrivant à l'entrée du campus quand la fameuse délicatesse en personne m'approche à grandes enjambées.
Deux cafés dans les mains et son éternel sourire aux lèvres, Liora Russo manque de bousculer ce pauvre George de la sécurité en arrivant à ma hauteur.— Rory ! Moi qui pensais ne pas te voir avant le TD de cet après-midi ! Tiens, je t'ai pris un café pour te féliciter de ce réveil matinal.
Je prends le café dans sa main blanchie par le temps à chier de l'automne parisien. Je le porte à mes lèvres et l'odeur du café vanille rend tout de suite la journée plus supportable.
— J'apprécie que tu remarques mes efforts, j'aime bien ton écharpe (je dis avec un léger rictus en observant le gigantesque tissu mauve qui laisse à peine entrevoir la moitié de son visage) et merci pour le café.
Elle m'adresse son air boudeur avant que nous ne nous mettions en direction de l'amphithéâtre. Comme nous sommes juste dans les temps, la plupart des places sont déjà occupées. Liora s'installe à la place qui visiblement lui convient le mieux. Et je prends place à ses côtés, parce que c'est toujours comme ça maintenant.
Je ne me souviens pas exactement à quel moment notre amitié a commencé. Peut-être une semaine après la rentrée, quand elle n'arrivait toujours pas à se repérer dans ce immense bâtiment. Je me revois encore lui expliquer la numération des étages, puis je me suis arrêtée car l'incompréhension dans ses yeux m'a vite découragée. Et légèrement amusée.
Depuis, nous nous rejoignons chaque matin pour prendre un divin café à la vanille pour moi et son ennuyeux cappuccino pour Liora, qui tient tellement à ses origines italiennes que son corps doit être composé à au moins 40 % de ce truc.
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Ça doit faire au moins 20 bonnes minutes que le prof a commencé son habituel monologue, et au moins 10 que plus aucun retardataire n'a franchi les portes grinçantes de l'amphi.
Mais c'est sans compter ce type-là : Aydan Faure. Il paraît qu'il s'est réorienté après son échec en L1 de marketing, décevant probablement son père, Gabriel Faure, un des plus grands dirigeants d'une boîte de communication à Paris. Si je sais tout ça, c'est parce que Liora a un énorme crush sur son meilleur ami, Elior Ivanov, un grand blond à la bonne humeur bien trop étincelante pour ne pas être feinte, qui se fait appeler Eli, sans doute complexé par son nom russe que je trouve personnellement plus charismatique.
Aydan prend justement place à côté de ce dernier, quelques rangs devant nous. Je détaille quelques instants ses cheveux noirs à peine coiffés quand il retire sa veste hors de prix.
Je ne le porte pas spécialement dans mon cœur, nous nous sommes adressés la parole deux ou trois fois en raison des tentatives de Liora de se faire remarquer par Eli, et à chaque fois son ton hautain et ses manières nonchalantes me donnent envie de me crever les yeux. Une fois, il a même eu le culot de faire une remarque sur les habits très colorés de Liora, alors que ce fils à papa ne s'habille presque exclusivement en noir.Il doit sentir mon regard sur lui puisqu'il se retourne doucement, ses yeux capturant les miens.
AYDEN
Elle s'est teint les cheveux, ils sont presque aussi foncés que les miens maintenant ; ça lui va bien, je suppose.
Rory, de son vrai nom Aurore, se désintéresse vite de moi et se replonge dans sa prise de notes.
Le prof continue de nous déblatérer l'histoire gréco-romaine tandis que je pianote sur mon téléphone.
Je tombe sur une publication d'un influenceur parisien assez connu, avec un cliché plutôt bien réalisé, je l'admets. On y voit en arrière-plan l'exposition temporaire de Van Gogh dont tout le monde parle en ce moment sur les réseaux sociaux. Je ne suis pas spécialement fan de ce type.
— Oh, faut absolument qu'on la fasse avant qu'elle ferme !
Me crie presque dans l'oreille Eli, qui visiblement n'est pas de mon avis.
Je marmonne un « si tu veux » à peine audible avant de remarquer que le cours vient de se terminer et que les gens commencent déjà à se diriger vers les portes de l'amphithéâtre.
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Le reste de la journée se déroule dans le brouillard, un peu comme toutes les précédentes depuis ce soir-là. C'est le gamin qui vient de me bousculer qui me sort de mes pensées.
Il ramasse mon livre du sol abîmé du métro avec un air penaud avant de me le tendre, non sans jeter un coup d'œil curieux à la couverture.
Je ne peux pas lui en vouloir, l'édition folio de l'adolescent de Dostoïevski est franchement dérangeante.
Je range le livre dans mon sac tandis que l'enfant rejoint son père, assis un peu plus loin, le nez dans son téléphone et les sourcils froncés. Quand le petit garçon s'assoit à côté et lui lance un long regard silencieux devant l'indifférence de son père, je me demande si lui aussi compte se battre toute sa vie pour l'attention ou mieux encore l'affection d'un homme qui n'aime que sa propre personne.
Mais le type range son téléphone et adresse une grimace à son fils, m'arrachant presque la même réaction.
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Je n'ai pas rouvert mon livre, il est encore compressé dans mon sac au coin de la pièce que je regarde fixement, allongé sur mon lit.
Le torse encore humide de ma précédente douche, je caresse distraitement le tatouage noir qui remonte de mon aine jusqu'à mon nombril.
C'est une plante. Une Calathea pour être précis, elle représente un nouveau départ.
Je l'aime bien celui-là, comparé à cet espèce de dragon que j'ai fait lors d'une soirée un peu trop arrosée.
Elle en a aussi des tatouages, Aurore.
Une phrase en latin au niveau de sa clavicule.
Je ne sais pas ce qu'elle signifie, je n'ai pas regardé assez longtemps pour déchiffrer et je ne vais certainement pas lui demander.
Je crois qu'elle ne m'aime pas trop, moi je l'aime bien.
Avec son air constamment nonchalant, son sourire qui laisse planer le doute entre moquerie et réel amusement, son visage beaucoup trop expressif, et sa voix.
J'aime beaucoup sa voix.
Mais c'est une autre que j'entends.
Adrien Faure, mon géniteur, est en train de déverser ses états d'âme sur ce que je suppose être un de ses employés.
La colère dans sa voix ressemble à la bande-son d'un film pendant une scène stressante.
Infliger le stress, c'est sa spécialité, avant la violence physique, j'entends.
Je ferme les yeux, à défaut de pouvoir me délester de ma capacité d'audition.
Mais sa voix angoissante me suit même dans mon sommeil.
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Aletheia
Romance« La vérité n'est pas un fait, mais un dévoilements » -Martin Heidegger Ici, la vérité des uns devient irrémédiablement le dévoilement des autres. Aurore, Liora, Elior et Ayden n'on pas grand chose en commun, si ce n'est leurs études. En premières...