Chapitre 4

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Aurore

« L'ivresse est un moyen de rendre l'âme plus légère. »
Friedrich Nietzsche n'a visiblement jamais testé tous les cocktails que La Perle a à la carte.
Parce que là, « légère » est l'antonyme parfait pour décrire l'état de mon âme. Je la visualise actuellement comme des vêtements épais, trempés, à la fermeture éclair qui ne s'enlève pas.
J'essaie de me concentrer sur ce que raconte Gab, elle qui n'est pas une grande bavarde d'habitude. Je ne veux pas qu'elle s'imagine que l'écouter ne m'intéresse pas.
Échec.
Nouvel échec.
Putain, je ne comprends rien.
Je finis par abandonner et me lève pour aller fumer.
L'effet du tabac est cependant moins appréciable que d'habitude, surtout quand Ayden décide de me rejoindre.
Il est bien plus sobre que moi.
Je me demande même s'il a bu un seul verre.
Je n'ai pas vraiment fait attention quand on était avec les filles.
Il était en face de moi, parfois sa jambe entrait en contact avec la mienne.
Mais là, je ne regarde pas vraiment sa jambe.
Mon regard est d'abord parti de ses yeux envoûtants, il a, malgré lui, chuté jusqu'à sa mâchoire, droite et impeccable, sûrement comme l'image qu'il a dû donner toute sa vie.
Et puis il descend vers son cou. J'avais déjà regardé son cou avant ?
J'aurais dû.
C'est uniquement quand mon regard remonte de nouveau et fait une escale sur ses lèvres claires que je m'aperçois qu'il s'est rapproché.
Son corps est vachement près du mien.
Trop ? Pas assez ?
Et là, je n'ai plus envie de garder une quelconque image, un semblant de fierté. Je penche un peu ma tête, assez pour que mes lèvres frôlent les siennes.
Je m'apprête à les réunir pour de bon, mais Ayden recule sa tête.
Ah non, c'est ma tête qu'il recule.
Sa main tient ma mâchoire en coupe, j'ignore depuis quand.
« Il faut que tu sois dans cet état-là pour que tu rendes enfin compte que tu es folle de moi ? »
Je sais qu'il y a une tentative d'humour dans sa phrase, mais ses yeux, eux, ne rient pas.
Et comme je ne vois pas vraiment où il veut en venir, ou que je ne veux pas le voir, je ris doucement avant de caresser sa lèvre que j'étais sur le point de choyer.
Tant pis pour lui.
Je m'apprête à le dépasser pour retourner avec les filles, mais ma tête se met à tourner. Je sais que c'est l'alcool, mais l'idée qu'il me fasse tourner la tête me fait ricaner à nouveau.
Le regard qu'il me lance est bien trop compliqué à déchiffrer, alors je n'essaie pas.
Je me contente de le suivre vers sa voiture quand il propose de me ramener.
Même si sa voix, presque rauque, ne laisse pas vraiment la place à un refus.

Ayden

Après avoir vérifié mon angle mort, histoire de m'assurer que je ne percute aucun vélib, je prends à gauche.
La lumière des lampadaires se mêle à celle des vitrines des commerces encore ouverts.
C'est d'ailleurs « Blinding Lights » de The Weeknd qui résonne dans ma BM.
Je jette un coup d'œil à ma droite, Rory semble observer le paysage comme si c'était la première fois qu'elle voyait les rues de Paris.
J'ai conscience que son comportement de touriste est en lien avec son état d'ébriété, mais je me demande tout de même depuis combien de temps elle vit à Paris. Ses parents sont peut-être dans les alentours. Je me demande aussi dans quelle ville elle rêve de vivre, si Paris était le premier choix pour ses études. D'ailleurs, pourquoi des études de lettres ?
Quel est son livre préféré ? Et pourquoi ?
Comme si elle avait entendu mes questions silencieuses, les yeux d'Aurore se posent sur moi.
« Depuis combien de temps tu as le permis ? »
Son ton camoufle parfaitement son taux d'alcool dans le sang, ou peut-être qu'elle a plus ou moins émergé.
Est-ce qu'elle compte critiquer ma conduite ? Parce que je suis persuadé que c'est un sans faute pour l'instant.
« Je l'ai passé en mars dernier. »
Un ange passe.
Quand je suppose qu'elle se contentera de ma réponse, elle enchaîne :
« Conduire une BM sur Paris à 18 ans, c'est vraiment un choix judicieux. »
Sa pique me signale que la Rory saine d'esprit est de retour parmi nous.
Un sourire ne peut s'empêcher de naître sur mes lèvres, mais je lève tout de même les yeux au ciel pour la conscience.
« Heureusement que j'ai 19 ans alors. »
Elle me scrute étrangement.
« Ah oui, j'oubliais. »
Ne voulant pas replonger dans notre mutisme mutuel, je rebondis.
« J'imagine donc que tu conduis une voiture plus judicieuse. »
Elle hausse un sourcil.
« J'ai pas mon permis. »
Je suis sincèrement étonné. J'admets qu'à 18 ans, avoir son permis en habitant et étudiant à Paris est loin d'être une nécessité.
Mais Aurore est du genre à vouloir tout réussir. Je m'imaginais qu'elle aurait essayé de passer le permis le plus tôt possible.
Et puis je me sens con quand j'omet intérieurement l'hypothèse qu'il s'agit peut-être d'une question de coût.
Après tout, je ne connais rien de sa situation financière, elle n'est pas vraiment du genre à s'habiller en marque de luxe ou à poster la destination de ses vacances sur les réseaux.
À bien y réfléchir, je ne connais pas grand-chose de sa situation tout court.
« C'est ici. »
Je sors de ma réflexion et me gare sur la place miraculeusement libre devant le bâtiment qu'elle m'indique.
Un joli appartement, qui j'imagine vaut un moins joli salaire.
Donc j'écarte l'hypothèse.
Rory enlève sa ceinture mais n'ouvre pas la portière.
« Merci de m'avoir ramenée. »
Je me tourne vers elle.
« Et de ne pas m'avoir embrassée. »
Le fait qu'elle mentionne ce qui s'est passé, ou plutôt ce qui ne s'est pas passé, m'étonne.
Je ne sais pas trop quoi dire, je ne peux pas franchement lui avouer que son regard sur mes lèvres m'a totalement déstabilisé, que lorsque ses lèvres ont frôlé les miennes, j'aurais aimé que ça dure des heures. Mais je me suis repris.
La prochaine fois que Rory voudra m'embrasser, elle sera totalement sobre.
Sur ma promesse silencieuse, Rory, qui, je le sais, a conscience de cette étrange pression dans l'air, sort de ma voiture.
Une fois que je vois sa silhouette entrer dans le joli bâtiment, je repars dans les ruelles illuminées de Paris.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 18 ⏰

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