Dix ans plus tard.
— Faites-les entrer.
La voix d'Adryan résonna dans le vaste hangar qui empestait l'eau croupie et le rat crevé. Derrière moi, un goutte-à-goutte insupportable rythmait l'apparition des oméga. Le liquide tombait du toit en tôle, troué par endroit, comme pour accentuer l'horreur qui s'y déroulerait d'ici quelques secondes.
Chaque année, c'était le même rituel ; les poignets attachés dans le dos et les chevilles reliées par de lourds liens qui les empêchaient de fuir, ils arrivèrent, aussi terrifiés que des proies se sachant dans le viseur d'un prédateur. La brise sifflante qui parcourait la vaste salle à peine éclairée les fit frissonner. Leurs muscles se bandèrent et leur démarche se raidit.
Ils furent installés au sol, à genoux sur le béton humide, et un alpha avança vers Adryan, à côté duquel je me trouvais. L'alpha me scruta, comme tous les ans, cherchant peut-être une faiblesse qu'il n'aurait pas décelée l'an dernier, mais je relevai le menton, hautain comme je savais l'être.
— Ils sont prêts, nous dit-il, un sourire dans la voix, passant de mon propriétaire à moi.
Une suite de tapes se posèrent sur mes fesses, claquant inutilement ma peau à travers mon chino clair.
— Dépêche-toi, Nathan. Trie-moi cette racaille.
J'avançai la tête haute face à mes semblables. Ils étaient sales, frigorifiés et horriblement jeunes. Chaque année, j'avais l'impression que ça empirait. Le groupe d'une vingtaine d'individus fut mis à genoux par les alpha de la Famille. Chacun fut invité à lever la tête lorsque je me plaçais devant eux afin que je détermine leur affectation ; la maison close, le don gracieux à un particulier, ou laissé au bon vouloir des alpha présents, comme des jouets cassés que l'on abandonne au chien qui a bien travaillé. Ces derniers seraient envoyés dans d'autres pays, ici ils ne valaient rien.
Le regard plein de dédain, je jugeais. Beauté, force mentale, état général. J'examinais la marchandise puis j'apposais une décision presque jamais discutée. En quelques minutes à peine, trois groupes distincts se formaient devant moi, séparant les malchanceux des poissards. Je marchais de long en large, mes pas faisant se soulever l'humidité qui stagnait au sol. Je réfléchissais, me demandant qui serait apte à appartenir à la Famille, en qui je pouvais voir assez de désespoir qui se transformerait en loyauté ou chez quels individus même la peur ne serait pas un moteur suffisant. Ils savaient, nous savions tous. Je n'avais besoin que d'un seul coup d'œil sur ces pauvres créatures.
Certains pleuraient à chaudes larmes, d'autres, dont les épaules tressaillaient à mon passage, cachaient la terreur qui les habitait. Il y en avait certains, peu, qui défaillaient une fois devant moi. Ceux-là ne feraient pas long feu, où qu'ils aillent. Les derniers me jaugeaient avec mépris, pensant certainement que j'étais heureux de ma condition. Dans l'instant, il était vrai qu'elle demeurait meilleure que la leur, mais ils pourraient tirer leur épingle du jeu, s'ils avaient assez de jugeote.
— Comment tu peux nous faire ça ? cracha l'un d'eux, que j'avais destiné à un particulier. Toi aussi tu es un oméga.
Son regard assassin, souligné d'un coquard violacé, ne m'atteignit pas. Chacun sa merde. Un alpha s'occupa de le faire taire d'un coup de pied dans le dos tandis que je pinçais des lèvres. Pauvre imbécile. Ce n'était pas le moment de montrer ton courage.
Je m'éloignai de ces âmes en peine et retournai près d'Adryan qui m'accueillit d'un air satisfait. Il me fit asseoir sur l'un de ses genoux, face à ces jeunes, pour certains pas encore sortis de l'adolescence, et son bras s'enroula autour de ma taille, blottissant mon corps fin contre le sien, semblable à celui d'un bœuf sous testostérone.
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Prince pantin [MxM - α/Ω - DarkRomance]
RomanceNathan n'a jamais connu la douceur de la vie. Enrôlé de force par la mafia à quatorze ans, il vit sous l'emprise d'Adryan, un alpha impitoyable qui tient son existence entre ses mains avides de tortures. Quand il passe au service de Jared, il croit...