Deux marchands.

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Jaennot arrivait au bar de la méduse aveugle à pas lents, bras balants les yeux perdus dans le vague,il s'était encore perdu aujourd'hui,ça devait faire près de vingt ans qu'il venait ici tous les midis pour retrouver son amis mais il n'arrivait toujours pas à fixer l'itinéraire dans son esprit.Il y arrivera peut être demain.

Il reconnut son camarade avachi à sa table,bouche entrouverte avec sa grosse casquette négligemment posée sur son crâne luisant.Ce dernier avait visiblement bu une quantité importante de cette infâme bière que vendait ce salopard de Momo le boiteux.
Jeannot se stoppa et leva les bras en V pour faire signe à son ami.
-Hééééé Polito !
L'intéressé sursauta,lorsqu'il finit par reconnaitre son Jaennot,son visage rougeau se fit rieur .
-Hééééé !!
Ils restère un long moment à se regarder bêtement comme s'ils ne savaient pas comment se parler.
Une voix venant de l'intérieur de l'établissement tonna.
-Reste pas planté là comme un poireau ,grand con !assied toi à la table et commande on va pas attendre l'hiver!
Jeannot s'exécuta en bougonnant.
-Hé Momo,tu devrais être plus sympas avec tes clients...
-Taaaaa gueuuule !
Une dame qui était assise à la table voisine de Polito eut l'air sincèrement choquée,elle se leva rapidement et quitta les lieux sans demander son reste.
Jeannot préféra s'occuper de son ami plutot que de discuter le comportement du patron.
-Ca va Polito ? t'as une drôle de tête .
Ce dernier souffla comme s'il voulait imiter le son d'un cheval.
-Bah ouais hein...
Jaennot attendait que son ami s'explique mais il avait déjà l'air d'être passé à autre chose .
-...alors ?
Polito reprit.
-Baaah tu vois ,j'ai une canne à pêche ?
-Oué ?
-Pour aller pêcher .
-Oué.
-Bah elle est cassée ...
-Ah oué ?
-Oué...
Un silence s'installa l'espace d'une petite minute .
-C'es moche hein ça .
-Quoi dis ?
-C'EST MOCHE Je dis .
-Aaaah oué...c'était la canne à pêche de mon père .
-Oooh c'est triste ça...
-Bah oué.
Un nouveau silence plus long .Un oiseau vint se poser sur une branche et se mit à siffler gaiment .
-Oh un moineau...
-Bah non ça c't un oiseau .
Jeannot fronça les sourcils un peu déstabilisé par son ami...ça lui passa rapidement .
-Et comment tu l'as cassée ?
-Quoi ?
-COMMENT TU L'AS CASSEE ?
-Aaaah.
-Oué.
-Bah tu vois j'étais derrière la falaise sur mon petit bateau et je ramais parce que le courrant m'emportait ...
-Oué.
-Et je lance ma canne pour essayer d'attraper un poisson .
-Tu lances ta canne ??
Polito leva les yeux au ciel.
-Mais non imbécile ,j'ai lancé mon hameçon .
Jaennot n'arrivait pas bien à comprendre mais il ne voulait pas parraître idiot aux yeux de son ami.
-Aaah.
-Bah oué hein...Du coup j'attendais d'attraper un truc tu vois ?mais j'avais pas mis d'appats du coup j'ai attendu longtemps tu vois ?
-Oh moi tu sais la pêche je m'y connais pas des masses ...
-Et au bout de deux ou trois heures ...PAF
-PAF ?
-Oué PAF...
Polito s'était quelque peu dissipé,il avait perdu le fil de sa propre histoire.
-Hé quoi PAF ?
Les yeux de polito s'écarquillèrent,ça lui revenait enfin.
-Bah y a eu un gros poisson qui à mordu tu vois .
-Ah oué ?
-Mais quand je dis un gros poisson ...
Il tendit les bras pour mimer la taille du spécimen mais s'apperçut rapidement qu'il avait les bras trop court.Il prit alors un peu de recul pour essayer d'offrir une mesure plus exacte ce qui le fit buter dans la table d'un voisin et renverser son immonde bière au passage.
-Mais...c'tun gros poisson sti là !
-Bah oué hein quand je te le dis .
Il se rassit avec la grâce d'une otarie sur la terre ferme .
-Et alors ?
-Bah d'abord il a tiré mon bateau sur bien deux mêtre ...Puis je me suis coincé sur un rocher ...J'avais beau tirer le poisson remontait pas .
-Du coup ta canne à cassé ?
-Comme une brindille.
Momo le boiteux arriva avec sa délicatesse légendaire .
-DES COUILLES OUI.
-Mais Momo je te jure ...
-CA N'EXISTE PAS DES POISSONS DE CETTE TAILLE !
-Mais si je l'ai vu ,il a cassé ma canne ...
-SI Y A BIEN UN TRUC QUE J'AIME PAS C'EST LES GROS MENTEURS DANS TON GENRE ...ALLEZ CASSEZ VOUS LES CONNARDS !
-Mais Momo...
-ET ARRETEZ DE M'APPELER MOMO.
Jeannot et Polito se rendirent compte que Momo commençait à sortir de ses gonds,ils s'enfuirent sans demander leur reste...au moins ils ne paieraient pas leurs bière atroces.
-Il est gentil Momo mais parfois il s'énerve un peu.
-Oué.

Plus tard dans la journée alors que les marchands commençaient à remballer leurs petites affaires :

“tu t’en va déjà marco?”

En entendant son nom,le vendeur de portes bonheur se retourna.

-Oui je n’aurai plus de clients aujourd'hui,répondit-il en souriant,je ne me plains pas, j’ai bien écoulé les stocks!

Le marchand de poisson qui venait de l'interpeller prit une mine renfrognée.

-t’en a de la chance..j’ai presque rien vendu aujourd’hui.Je devrais peut-être te prendre un de tes trucs qui apporte la richesse,ironisa t il en pointant une statuette de chat en bois avec une patte levée .

Son ami rigola bruyamment.

-Tu vas pas me dire que toi aussi tu deviens superstitieux !

-Maintenant que t’en parle …

Sa mine s'assombrit,Marc commençait à s'inquiéter en voyant son expression.

-Qu’est ce qu’il y a ?

-Rien...juste... J’aime pas cet endroit.Le vendeur d'amulettes jeta rapidement un coup d'œil autour de lui .”Quoi ? le marché ?”

Son collègue leva les yeux au ciel, agacé.

-Mais non t’es con,cette île,cet endroit.

-Bah...pourquoi ?Il fait beau,les gens sont souriants ,on profite de l’air pur,il y a de jolies filles(il lui fit un clin d'œil un peu lourd).

L’autre préféra ne pas relever.

-C’est pas ça ..y a quelque chose qui me met mal à l’aise ...Je sais pas trop quoi.

Marco continua à le fixer sans trop savoir quoi dire.

-Tu te fais des idées !ça fait des années que je viens ici,c’est tranquille ,le rassura t il,vient plutôt boire un verre avec moi .Je connais une  auberge qui met en bouteille une délicieuse petite liqueur de prune artisanale .

Son ami fit non de la tête.

-Je vais  rentrer chez moi,toutes mes affaires sont déjà dans le bateau.

-Ah bon ...dommage ,on boira un verre à mon retour alors,répondit il dépité.

Il s’en alla en laissant Marc sur place .Il voulait partir le plus vite possible.

A peine une heure plus tard, son bateau quittait l'île.

Il admirait une dernière fois le paysage .Des jeunes gens s’amusaient sur la plage .plus haut dans les terres on pouvait voir des hommes travailler avec acharnement dans les champs ,la récolte devait être terminée avant le début de la fête de la moisson de la semaine prochaine.”Il faut avouer que cet endroit est magnifique“ ,pensa t il.

Le village s’étendait en hauteur a la manière d’un jardin à étages.Tout en haut on pouvait apercevoir une petite maison ancienne un peu tordue et terne au milieu de la magnifique architecture des lieux,il esquissa un sourire:il voulait bien parier son bateau que celle ci tomberait en morceau d’ici un ou deux ans.

Il posa son regard sur un petit bosquet juste derrière l’endroit où il avait installé son stand tout à l’heure.C’est alors que son attention fut attirée par l’ombre que formait un if dans ce petit bois .

Elle était aussi obscure que la nuit la plus sombre qu’il avait connue.

Les secondes semblaient s’étirer sans fin ,tandis que le bruit de la mer lui paraissait de plus en plus lointain.

Une grosse larme roula lentement le long de sa joue .

Il détestait cette putain d’île .Il n’y retournerait plus jamais.

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