Chapitre 3- Maman j'ai mal 1/7

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« Maman, j'espère qu'un jour je serai comme toi. Tu m'inspires tellement que je ne peux me défaire de ton charisme. Chaque fois que tu parles, je suis toute ouïe. Chaque fois que tu t'exprimes, mes pupilles s'agrandissent. » Aïcha, émue, et toujours de bon conseil, orientait au mieux sa fille. Elle ne voulait pas qu'elle suive la même voie qu'elle, et cela pour rien au monde. Elle souhaitait que sa fille fréquente les bancs de l'école, qu'elle obtienne ses diplômes et qu'elle poursuive ses études à l'université. Elle aspirait pour elle une ascension sociale, qu'elle devienne une Waritigui, comme tous les parents issus de foyers précaires le désiraient pour leurs enfants. Aïcha Traoré Keïta, une femme libre, n'avait jamais failli à son honneur. Elle était l'une des femmes les plus respectées de la ville. 

Allah a ina lâ (qu'Allah ait pitié d'elle). Parfois, l'argent n'est pas garant d'un impact dans la vie d'une personne, et la mère de Fanta continue de parcourir Bamako année après année. Lorsqu'on passe devant l'ancienne maison de la famille Keïta, il est impossible de ne pas adresser des invocations à Dieu, tant cette famille était louable, que ce soit Malik Keïta, père de Fanta, ou Aïcha Keïta, mère de Fanta. Les passants avaient l'habitude de parler d'elle en termes élogieux : « Cette femme, la maladie l'a emportée, mais jamais son honneur ne pourra disparaître, jamais son héritage ne pourra se dissoudre. Il est scellé pour de nombreuses générations futures. Ni Allah sona ma (si Dieu le veut), sa descendance sera plus que glorieuse ! » « D'ailleurs, vous avez vu sa fille unique qu'elle a laissée derrière ? Wow, il paraît que maintenant elle est à l'université. Si ses parents étaient là, ils seraient fiers d'elle. En plus, elle est si belle ; elle ressemble tellement à Aïcha, on dirait qu'elle lui est une goutte d'eau. »La mère de Fanta avait l'habitude de lui dire : « Si tu fais du bien, sache que, d'une manière ou d'une autre, que tu le remarques ou non, il te sera rendu. Ne désespère jamais de cela. Par contre, ma fille, si tu fais du mal, sache que ce mal te reviendra multiplié par vingt.

C'est ainsi que fonctionne la vie : faire du mal à quelqu'un qui ne t'a rien demandé ne te procurera aucun bien, et ça, je peux te le garantir. Répands le bien autour de toi. Tu es une très belle petite fille, et je l'ai déjà remarqué, mais tu es surtout très perspicace, alors je ne m'inquiète pas pour toi. Toutefois, j'ai peur de te laisser toute seule, ma petite. Je n'ai personne à qui te confier quand je ne serai plus là. Cela fait maintenant un an que ton père nous a quittées. Inna lillah wa inna ilayhi raaji'uun (nous appartenons à Allah et c'est à Lui que nous retournons), disait-on lorsqu'on parlait d'un décès.

Et moi, je suis malade ; je ne sais pas combien de temps il me reste. Sache que si un jour quelqu'un te fait du tort, cette personne ne connaîtra jamais la paix. Dieu n'aime pas les injustes, et il n'y a rien de pire que de faire couler les larmes d'un innocent. Sois-en certaine, Fanta, tu seras protégée comme un papillon si Allah le veut. Pour l'instant, je suis encore là, gardienne de l'espoir. Je m'occuperai de toi jusqu'à mon dernier souffle. Je t'aime, ta maman Aïcha, digne héritière des Traoré, épouse de Malik Keïta. Fanta, bien que n'ayant saisi que la moitié des paroles de sa mère, avait compris l'essentiel. Quelques mois plus tard, des lamentations retentirent dans la concession des Keïta : « Woyooooo, Aïcha sala ! Aïcha sala et Allah moukosan ! » (Aïcha est morte, Aïcha est morte, et Dieu, pourquoi ?). Quelle mauvaise parole d'ailleurs, car le décret de Dieu est toujours le meilleur. Inna lillah wa inna ilayhi raaji'uun. Les femmes de la ville s'étaient rassemblées ainsi, devant la concession des Keïta. La mauvaise nouvelle avait parcouru la ville à une vitesse troublante.

Fanta ne comprenait rien. Elle entra dans la maison et vit sa mère allongée sur le sol du salon. Elle s'écroula, n'ayant que 10 ans, et venait de perdre son deuxième parent. Elle devenait ainsi orpheline. Son lien avec sa mère était tellement fort qu'une partie d'elle-même venait de s'éteindre. Sans grande surprise, elle se mit à hurler. Les tantes, venues de Côte d'Ivoire la veille pour une visite annuelle, étaient finalement là pour le décès de leur sœur. Quel moment tragique ! Elles devaient désormais soutenir Fanta dans cette épreuve douloureuse, lui transmettre toute leur force, mais elles aussi venaient de perdre leur sœur. Le pire moment arriva lorsque deux hommes vinrent emporter le corps de la mère de Fanta. Elle hurla de nouveau, tremblante, et suivit les hommes : « Je veux maman ! Né bamouso ! » La douleur était tellement intense qu'elle s'évanouit. Une tante venue d'Abidjan prit une serviette humide et tiède pour la poser sur le front de Fanta. Voilà maintenant une demi-heure que Fanta était au sol, prise de sueurs. Son corps brûlant commença à refroidir. Lorsqu'elle se réveilla, la première chose qu'elle dit fut : « Né bamouso tarala ka né toy » (Ma mère est partie pour me laisser). Les gens autour d'elle—les cousins, les cousines, les frères, les sœurs, les amis, les collègues, les voisins, les voisines—étaient tous profondément désemparés par la situation. Et Fanta ajoutait encore à leur tristesse. Mais la plus triste, sans aucun doute, c'était Fanta. Que deviendrait-elle sans sa maman ? Qui s'occuperait d'elle ? Qui lui raconterait des histoires le soir avant de s'endormir ? Qui pourrait remplacer sa mère ? Jamais personne ne pourrait remplacer une mère.

Elle est unique ; on n'en a qu'une. Et si un jour elle disparaît, c'est comme si le monde s'effondrait. Personne ne pouvait remplacer la mère de Fanta. « Je suis femme car je poursuis chaque instant de vie pour qu'il soit meilleur que le précédent. Je suis femme car je porte le poids du monde sur mes épaules. Je suis femme car, même si tout le monde décide de tourner le dos aux miens, je reste furtive afin que personne ne puisse les égratigner. Je suis femme car je suis, j'ai été, et je serai. Libre, j'arpente les rues de Bamako telle une Bamakoise qui s'émancipe sans jamais s'imposer de limites. Telle une étoile, mon éclat continue de briller, même quand le soleil apparaît. La nuit, quand je me repose, ma lumière transperce les yeux du monde. Car je représente tout, mais après tout, je suis la mère de Fanta, et cela me suffit amplement. Plus que tout, Fanta a hérité, et elle aussi, un jour, fera des héritiers. »

Les maux de FantaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant