Parole d'un cœur meurtri

Djenna

Djenna vivait en France, à Créteil, dans un bel appartement. Fraîchement diplômée en journalisme, elle travaillait pour une grande chaîne de télévision. Elle rêvait de parcourir le monde, de découvrir de nouvelles cultures et d'explorer des horizons lointains. Cependant, ses parents avaient d'autres plans pour elle.

Aînée d'une fratrie de trois petits frères, sa mère comptait beaucoup sur elle pour l'aider dans les tâches ménagères. Bien qu'elle soit installée en France depuis plus de vingt ans, sa mère tenait fermement aux traditions maliennes et souhaitait transmettre les valeurs qu'elle considérait essentielles à ses enfants.

— Maman, je dois y aller ! dit Djenna, jetant un coup d'œil nerveux à l'horloge.

— Non, non, non, Djenna ! s'exclama sa mère en secouant la tête. Il y a des invités ce soir, tu ne peux pas partir comme ça !

— Mais j'ai une réunion avec mon supérieur ! protesta Djenna. Je te promets que je serai rapide.

— C'est toujours la même chose avec toi. Tu trouves toujours une excuse pour ne pas aider, répondit sa mère, les bras croisés.

— Mais maman, je travaille... insista Djenna, le ton un peu plus ferme.

— Et alors ? Moi aussi je travaille ! répliqua sa mère. Ce n'est pas une raison pour fuir tes responsabilités à la maison.

— Je serai rapide, je te promets.

Sans attendre de réponse, Djenna attrapa son sac et sortit précipitamment de l'appartement. Elle se dirigea vers les transports en commun pour rejoindre son lieu de travail, le cœur battant légèrement plus vite que d'habitude. Son directeur était un homme exigeant, perfectionniste, qui veillait à ce que ses employés donnent toujours le meilleur d'eux-mêmes. Djenna le savait bien. Elle avait appris à s'adapter à ses attentes rigoureuses et savait exactement comment le satisfaire.

Lorsqu'elle entra dans le bureau de son supérieur, il la salua avec un sourire satisfait.

— Merci pour ta réactivité, Djenna ! commença-t-il. Je voulais t'annoncer une excellente nouvelle en personne. Comme tu le sais, nous sortons bientôt un documentaire sur les Touaregs. Nous aimerions que tu sois la journaliste principale pour ce projet. Tu es parfaite pour ce rôle : tu es réactive, tu parles arabe et tu sais très bien t'adapter aux situations difficiles. Qu'en penses-tu ?

Djenna resta un instant sans voix, partagée entre l'excitation de cette opportunité unique et la culpabilité qui l'envahissait à la pensée de sa mère et des responsabilités familiales qui l'attendaient toujours à la maison.

— Je... je suis honorée par cette proposition, répondit-elle avec un sourire nerveux. C'est une grande responsabilité et je serais ravie de la prendre en charge.

Son directeur hocha la tête, satisfait.

— Excellent. Nous te fournirons tous les détails dans les jours à venir, mais je peux déjà te dire que ce reportage nécessitera plusieurs semaines de déplacement. On a besoin de quelqu'un de totalement engagé.

Ces derniers mots résonnèrent lourdement dans l'esprit de Djenna. Des semaines de déplacement. Comment allait-elle l'annoncer à sa famille ? Sa mère déjà furieuse pour ses absences répétées à la maison, allait-elle comprendre ? Et ses frères, habitués à ce qu'elle gère les tensions familiales et aide à la maison, allaient-ils pouvoir se passer d'elle ? Djenna savait que cette mission pourrait provoquer une rupture définitive entre ses aspirations et ce que sa famille attendait d'elle.

— Bien sûr, je me tiendrai prête, dit-elle, masquant l'incertitude qui bouillonnait en elle.

Alors qu'elle quittait le bureau de son directeur, son téléphone vibra. Elle sortit l'appareil de son sac et lut le message de sa mère :

- les invités sont là, je t'avais dit de ne pas partir comme ça ! J'ai demander à tata Mariam de venir.

Djenna soupira longuement. Elle se sentait coincée entre deux mondes. D'un côté, le monde professionnel, où elle commençait enfin à être reconnue pour ses compétences et ses efforts. De l'autre, la sphère familiale, où ses obligations ne cessaient de croître et où chaque absence était perçue comme une trahison des valeurs familiales.

En descendant les escaliers du bâtiment, elle repensa à une conversation qu'elle avait eue quelques mois plus tôt avec son amie Sara.

— Un jour, tu devras choisir, lui avait dit Sara. Tu ne pourras pas continuer à te dévouer à deux mondes si différents. L'un finira par te briser.

À ce moment-là, Djenna n'avait pas voulu entendre raison. Elle pensait pouvoir concilier les deux, être à la fois la fille obéissante que sa mère attendait et la journaliste ambitieuse qu'elle rêvait de devenir. Mais aujourd'hui, alors que le dilemme prenait de plus en plus d'ampleur, elle réalisait l'ampleur du sacrifice qu'un tel choix impliquerait.

Alors qu'elle montait dans le métro, son esprit ne cessait de jongler entre les images d'une aventure exaltante au cœur du désert et celles de sa mère, déçue et en colère.

Arrivée à la station, Djenna leva les yeux vers le ciel, un ciel gris, presque oppressant. Elle devait prendre une décision. Une décision qui changerait sans doute le cours de sa vie.

                                                                           Cœur meurtri 💔