Ces rancœurs qui nous séparent

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                        Laisser Candy rejoindre son ex-partenaire aux biceps hypertrophiés fut déplaisant mais nécessaire. Terry avait marqué un point autant que son territoire, nul n'était besoin d'en rajouter au risque de le desservir ultérieurement. Sa belle allait assez fulminer, une fois l'euphorie du moment dissipée. Ami ? Un sifflement agacé sortit de sa gorge sans qu'il ne puisse le réprimer. Aussi conditionné que le chien de Pavlov, il tâtonna dans sa poche à la recherche de son paquet de cigarettes et le sortit. Il sentit plus qu'il ne distingua une forme frôlant son bas de pantalon. Un tssss réprobateur le fit sursauter. Un coup d'œil par-dessus son épaule, un autre plus bas qui le fit frémir. Une gueule ouverte dévoilant une rangée de crocs pointait dans sa direction, de grandes oreilles droites, un corps massif malgré l'âge du clébard qui rivalisait avec celui de sa propriétaire. Terry se força à inspirer calmement, laissant le bull terrier marron et blanc le renifler à loisir.

― Ne craignez rien, mon garçon. Birdy mémorise juste votre odeur. Elle est plus impressionnante que dangereuse. Sauf si l'on entre sur son territoire sans y avoir été invité.

Qui était M. Grandchester pour remettre en question une information délivrée intentionnellement sur un ton badin. D'un geste explicite, il s'apprêtait à abréger une conversation qui promettait d'être assommante, quand une main à la peau fripée se posa sur son avant-bras. Comme toujours, cette familiarité lui déplût fortement, quand bien même il s'agissait d'une mamie d'apparence inoffensive, frêle et voutée.

― Fumer est une sale manie qui vous conduira au cimetière plus vite que prévu et dans un état de déliquescence qui vous le fera regretter. Amèrement. Seulement il sera bien trop tard pour pleurnicher sur votre sort.

Formidable ! Terrence réprimandé par une étrangère. Seuls son âge canonique et un reliquat de bienséance l'empêchèrent de l'envoyer paître sur la bande de gazon non tondue de la maison en chantier.

― De quoi je me mêle la vieille, maronna-t-il entre ses dents.

Apparemment l'ancienne à la chevelure d'un blanc virginal n'était pas autant dure de la feuille qu'il ne l'avait supposé. Son air pincé, le froncement de sourcils, accentuèrent les rides profondes de son visage.

― De ce qui ne me regarde pas, visiblement. Disons que c'est un privilège lié à mon âge.

L'ancêtre avait bien accentué le dernier mot et Terry se sentit tel un mioche surpris le doigt dans le pot de confiture. Ils se toisèrent avant qu'elle ne murmure que son mari, éclusant deux paquets de clopes par jour, était mort dans d'atroces souffrances d'un cancer du poumon. À soixante-et-un ans. Plus jeune encore que le « magnifique » Yul Brynner. Bloody Hell ! Une boule malvenue se forma dans l'estomac, quelque chose assimilable à de la compassion, un sentiment qu'il se refusait à montrer ordinairement. Lui présenter ses condoléances lui sembla superflu voire incongru.

― Tsss ! Ne faites pas cette tête d'enterrement, c'était il y a vingt-six ans maintenant. Le temps a adouci ma peine, ma colère, même s'il m'arrive encore de l'engueuler pour cette cochonnerie d'addiction. La cigarette m'a volé l'amour de ma vie. Son regard se fit lointain puis redevint aiguisé. Enfin... ainsi va la vie... C'était juste le conseil gratuit d'une vieille veuve. Faites-en ce que vous en voulez. Après tout il s'agit de vos poumons, non des miens.

Bloody Hell ! Elle avait réussi à le faire se sentir encore plus misérable.

― En plus, embrasser un fumeur revient à fourrer sa langue dans un cendrier. C'est écœurant, je peux en témoigner.