Chapitre 4 - Premiere Nuit Dans L'ombre

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La maison se dressait devant lui, silencieuse et figée dans le crépuscule, avec un toit usé qui semblait ployer sous le poids des années. Elle paraissait bien plus ancienne que les autres habitations du village, comme si le temps l’avait marquée plus durement, imprégnant chaque pierre de souvenirs enfouis et de secrets dont personne ne parlait plus. Gabriel la contempla, une étrange lourdeur s’installant dans sa poitrine. Un homme local – un vieil habitant qui s’était présenté rapidement, sans s’attarder sur les détails – lui avait remis les clés sans grande explication. L’homme avait gardé un regard insistant sur lui, presque méfiant, avant de disparaître dans le village, le laissant seul face à cette bâtisse qui, déjà, l’intimidait.

Gabriel passa la clé dans la serrure, un vieux cylindre de métal qui, malgré sa robustesse, émettait un grincement aigu, comme un cri réprimé. La porte s’ouvrit dans un souffle, dévoilant l’intérieur plongé dans une pénombre épaisse. Gabriel s’avança, l’odeur de bois humide et de poussière stagnante remplissant ses narines, lui rappelant des lieux depuis longtemps désertés. La lumière du soir glissait sur le parquet marqué par les traces d’anciens meubles, des empreintes fantômes qui semblaient lui chuchoter la présence des anciens locataires.

Il entra dans le salon, une pièce exiguë au papier peint défraîchi, couvert de motifs floraux jaunis, dont les coins se décollaient par endroits. Le mobilier, spartiate, semblait avoir été laissé là par le temps. Un canapé miteux, une vieille table en bois rayée, et quelques étagères vacillantes, garnies d’objets étranges et désuets : une collection de figurines en céramique, aux yeux peints à la main qui paraissaient suivre chacun de ses mouvements ; un miroir terni, de travers, dont le cadre doré était ébréché ; et un vieux globe terrestre, la surface abîmée, comme si des continents avaient été effacés.

Chaque pas de Gabriel semblait réveiller la maison, les planches grinçant sous son poids. Il sentit un frisson glisser le long de sa colonne vertébrale lorsqu’il posa la main sur la rampe de l’escalier. Le bois rugueux, parsemé d’éclats, écorcha sa paume et laissa une sensation d’inconfort qui refusait de disparaître, même lorsqu’il retira sa main. L’air était dense, presque palpable, chargé de l’humidité de murs qui semblaient suinter sous les couches de plâtre vieilli.

Son sac toujours sur l’épaule, il s’avança dans ce lieu qui l’accueillait avec une froideur presque palpable. En passant devant une petite pièce sombre à sa gauche, il eut l’impression qu’elle l’observait, cachée dans l’ombre. Une sensation de malaise l’envahit, comme si quelqu’un, quelque part, le scrutait attentivement depuis les recoins obscurs de la maison. Son regard glissa vers une vieille horloge au mur dont les aiguilles avaient cessé de tourner, figées dans un moment suspendu. La maison semblait plongée dans une attente sourde, comme si elle-même retenait son souffle.

Lorsque Gabriel atteignit la chambre, son corps tout entier protestait contre cette atmosphère oppressante. La pièce était à l’image du reste de la maison : démodée, austère, et envahie par une odeur de renfermé qui semblait s’agripper à lui comme un vêtement trop serré. Un lit au matelas affaissé, couvert d’une vieille couverture en laine, trônait au centre. Les murs étaient nus, à l’exception de quelques clous rouillés qui marquaient le passage d’objets disparus, et une unique lampe à l’abat-jour effiloché pendait au plafond, projetant une lumière jaune maladive qui accentuait l’ambiance morose du lieu.

Il sentit un mouvement derrière lui. Il se retourna brusquement, mais la chambre demeurait immobile, silencieuse, comme endormie. Pourtant, la sensation d’être observé persistait, glissant sur sa peau comme un souffle glacial. *Est-ce l’atmosphère de ce village ? Est-ce la solitude qui me joue des tours ?* pensa-t-il en s’efforçant de se calmer. Mais il savait, au fond, que cette impression n’avait rien de rationnel.

Les heures passèrent, et la nuit tomba, plus sombre et plus dense que Gabriel ne l’avait imaginée. Aucun bruit ne venait de l’extérieur ; le village entier semblait plongé dans un silence aussi complet qu’effrayant. Mais à l’intérieur de la maison, d’autres bruits se faisaient entendre. Un craquement sous le plancher, un léger grincement comme si quelque chose bougeait dans les murs. Gabriel essaya de se convaincre que ce n’était que le bois qui travaillait, les vieilles maisons étaient souvent sujettes à ces phénomènes. Pourtant, chaque son résonnait en lui comme une menace, une présence insaisissable rôdant autour de lui.

La porte de la chambre, dont il avait scrupuleusement verrouillé la serrure, lui semblait bien fragile face aux échos inquiétants de la maison. La sensation d’une présence invisible s’accentua, si bien qu’il finit par pousser une vieille armoire contre la porte, cherchant une protection supplémentaire contre une peur qui ne cessait de croître.

Assis sur le bord du lit, ses yeux parcouraient la pièce avec vigilance, guettant le moindre mouvement, le moindre signe d’un danger imminent. Sa respiration, irrégulière, troublait le silence ambiant, et il sentait son cœur battre trop fort, trop vite, comme si l’angoisse envahissait chaque recoin de son esprit. *Il n’y a rien*, se répétait-il. *Tout cela n’est que le fruit de mon imagination.* Mais au fond, une partie de lui doutait.

Les heures s’étiraient, et Gabriel se retrouvait à fixer la porte de la chambre, les paupières lourdes mais refusant de céder au sommeil. Les bruits, bien que rares, persistaient, résonnant parfois juste à côté de lui, si proches qu’il lui semblait sentir une présence juste derrière la porte. La fatigue finit par le submerger, ses yeux se fermant par instants avant qu’il ne se force à les rouvrir. Il sentit sa tête s’incliner, ses muscles se relâcher, mais au moindre son, il sursautait, comme si son corps tout entier était en alerte.

Il parvint finalement à s’endormir, à peine vingt minutes, un sommeil léger et agité, hanté de cauchemars indistincts. À son réveil, la chambre était baignée d’une obscurité totale, la seule lumière venant d’un faible rayon de lune qui glissait à travers la fenêtre. Il se redressa, ses muscles douloureux, et fixa de nouveau la porte de la chambre avec un mélange de crainte et de soulagement.

Les premiers rayons de l’aube perçaient à peine à travers les volets fermés lorsque Gabriel sentit enfin la tension se relâcher. Mais même avec la lueur de la matinée, l’étrangeté de la nuit passée ne le quittait pas. Cette maison, ce village… tout semblait l’éloigner davantage de la réalité, l’immergeant dans une atmosphère où le temps lui-même paraissait suspendu. Il inspira profondément, cherchant à effacer la fatigue et la peur accumulées, mais une ombre restait en lui, sourde et persistante, comme un avertissement qu’il ne parvenait pas à comprendre.

L'envers des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant