Chapitre 3 - Impression du village

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Gabriel avançait, chacun de ses pas alourdissant le poids étrange qu'il ressentait dans sa poitrine. Le village autour de lui, aussi figé qu'une scène de théâtre abandonnée, lui donnait l'impression d'être la seule âme encore vivante dans ce lieu figé par une force obscure. La rue principale, déserte et bordée de maisons aux fenêtres fermées, avait des airs de couloir sans fin, où chaque ombre semblait prête à s'étendre pour l'engloutir. Il pouvait presque sentir les regards invisibles, pesants, comme des spectateurs muets scrutant ses moindres gestes depuis les recoins sombres.

Le soleil déclinait lentement, et avec lui, les ombres s'allongeaient sur les façades délabrées, transformant les angles des bâtiments en d'étranges visages silencieux. Sa gorge se serra, et une sueur froide commença à perler sur sa nuque. Chaque maison qu'il dépassait semblait vouloir lui murmurer un secret oublié, une mise en garde retenue qui glissait dans le silence, le suivant comme un chuchotement fugace. Parfois, il sentait quelque chose bouger du coin de l'œil - une ombre sur un mur, un reflet qui se dissipait aussi vite qu'il était apparu - mais chaque fois qu'il tournait la tête, il ne restait rien.

Il accéléra le pas, jetant des coups d'œil rapides à droite et à gauche, comme pour s'assurer qu'il était bien seul. Mais cette solitude pesait sur lui d'une manière inquiétante, transformant chaque mur, chaque muret, chaque arbuste en possible spectateur de son malaise grandissant.

Arrivé au bout de la rue principale, il se retrouva face à la forêt. Les arbres s'étiraient devant lui en une masse sombre, étouffante, où la lumière s'effaçait dans les profondeurs insondables de la végétation. Leurs branches, décharnées et tordues, se dressaient comme des mains squelettiques pointant vers lui, comme pour le désigner. Gabriel sentit un frisson lui parcourir l'échine, comme si le cœur même de cette forêt le fixait d'un regard insondable, l'invitant à s'approcher tout en le repoussant dans une méfiance instinctive.

Un pas de plus, et l'ombre des arbres l'engloutit en partie. Le monde sembla se rétrécir autour de lui, et l'air devint plus épais, chargé d'une odeur de terre humide et de décomposition qui lui monta aux narines, exacerbant sa nervosité. Il inspira, tentant de calmer les battements de son cœur qui résonnaient dans sa poitrine, lourds et irréguliers, comme s'il allait défaillir sous l'intensité de ce silence oppressant. Devant lui, dans la pénombre de la forêt, les arbres formaient une sorte de couloir obscur, et il lui sembla apercevoir des ombres mouvantes, comme des silhouettes hésitantes qui se dissipaient aussitôt qu'il essayait de les fixer du regard.

Gabriel se détourna, presque précipitamment, reprenant son chemin vers le cœur du village. Mais même en quittant la lisière des arbres, l'impression de vulnérabilité ne le quittait pas. L'atmosphère de ce lieu semblait imbiber son esprit d'une angoisse latente, comme si chaque recoin du village retenait des secrets aussi sombres que la forêt elle-même. Ses mains étaient moites, et il les essuya distraitement sur ses jeans, observant ses doigts trembler légèrement. Il se surprit à frotter compulsivement la paume de ses mains, comme pour en effacer une sensation poisseuse et invisible qui le suivait.

En arpentant les ruelles, ses pas résonnaient sur le pavé, amplifiés par le silence. Des bruits de pas discrets, indéfinissables, lui semblaient répondre, comme des échos invisibles qui le suivaient à distance. Il s'arrêta net, mais rien ne bougea autour de lui ; le silence s'étendait, lourd et froid, comme si le village entier retenait son souffle. Il inspira profondément, son regard glissant vers les fenêtres des maisons, espérant apercevoir une figure, un signe de vie. Mais tout ce qu'il voyait, ce n'était que des volets fermés, des rideaux tirés, et derrière, peut-être, des yeux l'observant dans l'ombre.

Il réajusta son sac sur son épaule, comme pour se donner une contenance, mais même ce geste lui sembla dénué de sens dans cet endroit où le moindre de ses mouvements paraissait absorbé par l'obscurité environnante. Pourquoi suis-je venu ici ? Il se posait cette question sans trouver de réponse, comme si une partie de lui-même, une partie ancienne et cachée, l'avait poussé jusque-là sans qu'il ne comprenne encore pourquoi.

Le vent s'éleva soudainement, un souffle glacé qui lui effleura la peau. Il croisa les bras sur sa poitrine, frissonnant malgré lui. Ce vent semblait porteur de murmures, de voix lointaines, ou peut-être de souvenirs d'anciens visiteurs qui, comme lui, avaient ressenti la même angoisse. Il ferma les yeux, laissant ce murmure glisser sur lui, comme un aveu de la noirceur qui habitait ces lieux.

Lentement, Gabriel rouvrit les yeux, le regard encore tourné vers la forêt. Ses lèvres s'entrouvrirent, mais aucun son n'en sortit. Au fond de lui, quelque chose se crispait, comme une peur ancestrale, un instinct de survie qui le suppliait de fuir cet endroit avant qu'il ne soit trop tard. Mais il n'avait nulle part où aller. Ce village l'attirait et le repoussait tout à la fois, et malgré la peur, malgré les murmures sourds de son esprit, il se savait condamné à y rester - pour découvrir ce qui le hantait, peut-être pour affronter ce qu'il était venu chercher ici sans le savoir.

Il reprit son chemin, chaque pas pesant sous le poids d'une curiosité à la fois enivrante et terrifiante. Une brise passa, et il sentit un frisson lui parcourir l'échine. Il s'avança vers une ruelle étroite qui bifurquait à gauche, chaque mouvement de son corps trahissant un mélange d'angoisse et d'excitation. Les murs des maisons se resserraient autour de lui, et une soudaine sensation de claustrophobie l'envahit. L'odeur âcre de la moisissure lui chatouilla les narines, et il se surprit à déglutir avec difficulté, son cœur battant à tout rompre.

Les ruelles semblaient l'aspirer dans une spirale de mystère, le tirant inexorablement vers le cœur de cette étrange localité. Les rares signes de vie qu'il percevait - une fenêtre entrouverte, un voilier de tissu à l'intérieur - ne faisaient qu'ajouter à son malaise, comme si chaque détail était imprégné de secrets lourds à porter. Il s'arrêta devant un mur orné de lierre, un désordre végétal qui paraissait vouloir étouffer ce qu'il y avait en dessous. Qui a vécu ici ? se demanda-t-il, son esprit vagabondant dans un océan d'interrogations.

Ses pensées dérivaient, emportées par une mélancolie sombre qui s'immisçait lentement dans son cœur. L'écho d'un passé oublié, sans doute, flottait autour de lui, le condamnant à porter le poids de la solitude dans cet endroit qui, bien qu'habité, lui semblait profondément vide. Chaque maison, chaque pierre, chaque ombre projetée par la lumière déclinante semblait témoigner d'histoires de vies brisées, de rêves disparus dans le néant. Gabriel ferma les yeux un instant, la fatigue le rattrapant, mais il ne pouvait fuir cet endroit qui l'appelait de toutes ses forces.

Il savait que l'heure avançait, que le soleil se cachait derrière l'horizon, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'explorer davantage. Ce village, cet isolement, tout cela éveillait en lui quelque chose de primordial, une curiosité insatiable mais aussi une angoisse palpable. Il avait le sentiment d'être un intrus, un étranger dans un monde qui lui était hostile, mais il ne pouvait pas résister à l'appel mystérieux de cette obscurité.

Il dévia vers un chemin qui menait à la lisière de la forêt. Là, il s'arrêta, le cœur battant la chamade, observant les arbres se dresser comme des silhouettes menaçantes, attendant son approche. L'idée d'un danger imminent, d'une présence qui le guettait, le frappa comme une vague de froid. Gabriel se sentit nu, vulnérable, et pourtant, une part de lui semblait intriguée par cette ambiance sinistre qui l'entourait.

Chaque fibre de son être lui hurlait de fuir, mais il était déjà pris au piège dans ce labyrinthe de mystères. Peut-être, se dit-il, que découvrir ce qu'il y avait au-delà de cette frontière de ténèbres serait la clé pour comprendre le vide qu'il ressentait au fond de lui.

Alors, avec un dernier regard vers le village silencieux, il s'avança vers la forêt, chaque pas résonnant comme un battement de cœur, une promesse d'aventures à venir, mais aussi un présage de dangers cachés, attendant patiemment de se révéler.

L'envers des ombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant