Tu m'avais regardée, longuement, à travers cette fenêtre bleue qui m'éblouissait à chaque instant. À travers cette fenêtre bleue qui se cachait timidement entre tes longs cils assombris par le maquillage. Et avec ce que mes souvenirs interprètent, optimistes, un sourire, tu me disais :
- "Tu fais quoi comme sport ?"
En effet, ce n'était pas la discussion la plus passionnante par laquelle une belle histoire d'amour n'est jamais commencée. Mais c'était ma discussion qui lançait les péripéties, à moi. Tu t'intéressais à moi, et c'était bien suffisant pour surclasser les plus belles poésies romantiques de Hugo ou de Rimbaud. Alors je t'ai répondu :
- "Un art martial, mais je viens de commencer."
T'as trouvé cette information intéressante. Tu l'as commentée par ta voix enjouée et sonore. Prise de court par mon soudain saut de battement, j'ai vite demandé, embarrassée :
- "Et toi ?"
Je le savait parfaitement, que tu en pratiquais un, et lequel tu pratiquais justement. Mais je jouais le jeu, pour paraître naturelle, pas bizarre, pas obsessive, faire la discussion et ne pas bloquer bêtement dans le silence. J'essayais d'être le contraire de moi, pour essayer de te plaire. Mais je n'étais qu'un étrange personnage, celui qui devait être mis de côté pour ne pas déranger les principaux et les bien plus conformes. Mais j'étais idiote, je ne m'en rendais pas compte. Tu m'as ramassée au bord de la chaussée, par pure bonté de cœur, et j'ai pris une trop grosse confiance pour ce que j'étais. J'étais idiote car j'étais innocente. Je pensais encore que tous les humains avaient la même chance et la même valeur. Et que j'avais le droit d'être à tes côtés.
- "Je fais du patinage artistique."
Je le savais. Mais j'ai fait mine d'être surprise. De découvrir. J'ai simplement entamé avec confiance mon discours déjà prêt, préparé honteusement à l'avance.
- "Oh vraiment ? C'est tellement stylé. J'aime tellement ce sport. Tu t'intéresses un peu aux professionnels ? Comme Yuzuru Hanyu ?"
1. Première fois que cette fenêtre bleue étaient moins opaque à mon sujet. Peut-être que ma voix était trop forcée, et peut-être que tu t'es rendue compte de la supercherie. J'ai encore une fois raté un battement, mais celui-ci était amère et douloureux. J'avais envie de me terrer, de me cacher dans un coin de la salle pour ne plus revoir ton regard. J'aurais voulu me regarder dans la glace et me rendre compte de ce que j'étais et de ce que j'avais osé faire. J'aurais voulu pleurer jusqu'à être vide, expirer jusqu'à ne plus pouvoir, jusqu'à avoir mal au ventre à cause de mon air manquant, avoir les poumons enflammés par ma rage. J'aurais aimé ne plus jamais t'adresser la parole et rester dans le silence qui me protégeait. Mais j'ai été idiote. Et naïve. Et même ce foutu silence n'arrivait plus à m'arrêter. Car j'étais aveuglée par tes joues claires et juvéniles. Par tes yeux et tes cils presque invisibles. Par tes lèvres qui semblaient rondes sous l'effet du gloss. Par tes cheveux aux multiples courbes et reflets. Par ton sourire qui transcrivaient ta générosité et ta passion. Tu étais ma lune, et bien que tu étais inatteignable, je rêvais prétentieusement de te toucher.
Mais même aujourd'hui je te cours après, ressentant sans cesse la vitesse des patins et l'adrénaline de la glace comme narcotiques. J'ai peur et envie de te revoir là bas. Pour au moins m'excuser de ce que je fus. Et prétendre être devenue meilleure.Car je suis idiote.
Ou une folle. Une folle follement affolée par la lumière mystique et divine d'un astre.
Ou une ivre. Une ivre enivrée par le parfum grisant d'une petite fleur blonde et délicate. Un tournesol qui se tourne sans cesse vers la lumière, tournant le dos face aux déplorables cueilleurs attentionnés.
Tu n'es que le fantôme de mes souvenirs audacieux. Tu en es très certainement la première victime, avoir une idiote fervente qui t'admire sans cesse des gouffres illuminés. J'en suis la collatérale, à jamais prisonnière de ton image et de ta voix, derrière tes bras chaleureux qui m'étraignent, m'entraînent et me contraignent.
Et je suis une idiote qui se croit rassurée par ton souffle chaud dans ma nuque, par tes yeux fermés à jamais et apaisés, par ta mélodie chuchotée à mes tympans.
Je serais presque assez désinvolte pour exiger un baiser. Mais tu es un despote pour exiger mon silence et ma honte.Je suis une idiote qui croit à un spectre venu la sauver. Et une idiote qui a peur de ce dernier. Car je l'aime, et que je me sens obligée. Comme un devoir conjugal. Je prie chaque nuit pour que tu ne viennes pas me visiter.
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Short StoryCe que j'écris en libre service, pour le plaiz sans qu'il n'y ai forcément de rapport entre