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Chapitre 3

Etanaël


- Pense avec ta tête, le corps est faiblesse. M'assène doucement mon Maître.

Je reste debout sur ce tout petit plot, en hauteur, depuis bien trop longtemps. J'aime les entrainements avec Qiang. Pas tant qu'il me fasse dépasser mes limites en continu mais le fait qu'il m'apprenne à raisonner. Savoir quelle partie de moi écouter, à me connaître. La position m'oblige à bander tous mes muscles.

- Descends, finit-il par annoncer.

Mon corps engourdi a du mal à se relâcher, m'offrant difficilement la souplesse nécessaire pour regagner le sol sans tomber.

- Etanaël... commence mon Maître pendant que je tente de retrouver la maîtrise de mon corps. Je pense qu'il est temps de boire un thé ensemble.

Je marque un temps. Je sais que pour lui c'est le moment. Pour moi, je ne sais pas. Pour autant je ne peux pas lui refuser. Et approuve d'un simple hochement de tête.

Qiang traverse le dojo et récupère avec un tissu épais, la bouilloire en fonte qui reposait sur les braises. Puis il détache des feuilles de thé qui séchaient à côté de l'âtre. J'aime le regarder. Ses gestes sont comme une danse, son silence se fait musique. Il tourne le premier sablier et sort deux tasses qu'il positionne face au levant et s'incline. J'apprécie son attention, il exécute chaque mouvement avec maîtrise et fluidité. Ici servir le thé est un art. C'est aussi une forme de respect pour son hôte.

Jetant les feuilles dans l'eau, Qiang lance le deuxième sablier. Il me regarde un moment et m'invite d'un geste de la main à m'installer sur la natte sortie pour l'occasion. Je prends place en silence. Celui-ci n'est pas gênant. Il finit par servir le thé et lancer le dernier sablier.

Nous observons les montagnes enneigées tout autour de nous en attendant que le temps s'écoule, inexorablement, autorisant la dégustation. Nous écoutons le vent qui s'engouffre dans le dojo faisant chanter les carillons. Je ferme les yeux. Je sais à la manière dont chante le vent que la porte du dojo est mal fermée. Je sais aussi que rien ne bouge autour de nous. Quand je les rouvre je constate que Qiang a servi le thé et qu'il m'observe. Je me saisis de ma tasse et l'entoure de mes deux mains. La chaleur est réconfortante. J'inspire la vapeur qui en émane et fixe de nouveau mon regard sur l'horizon.

- Tu es différent Etanaël. Vraiment différent. Quand tu es arrivé au monastère j'ai très rapidement vu en toi des facultés insoupçonnées. Pas tant que ton physique semblait prédisposé à l'apprentissage des arts martiaux, mais aussi parce que ton âme est ouverte et ton cœur est juste.

Qiang s'arrête. Nous parlons peu en général, c'est un minimaliste verbal. A se demander d'où Xiao tient son débit de parole. Il cherche ses mots et je le vois hésiter. Sans doute a-t-il préparé ce moment mais comme toujours, au moment de prendre la parole les choses sont différentes.

- J'ai échangé avec notre Nigù...
Il laisse ces mots en suspend et m'observe.

- ... comme elle a dû t'en parler, l'après doit être envisagé. Je vieillis, comme nous tous. Il n'y a pas d'urgence et en aucun cas je souhaite te mettre la pression. Pour autant je souhaiterais que tu réfléchisses à la possibilité de faire vivre le dojo.

Je garde le silence. Je le laisse parler. En même temps je ne sais toujours pas quoi dire.

- J'ai conscience que tu peux avoir envie d'autre chose, poursuis mon Maître. Je pense parfois que tu serais légitime à souhaiter voir le monde, retrouver ton père ou même rencontrer d'autres...

ρη Sang pour sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant