Tout ce que tu m'a laisser

2. Solitude

Gabriel s'était finalement endormi, mais son sommeil fut tout sauf paisible. Les ombres de son passé l'assaillirent aussitôt qu'il ferma les yeux, le plongeant dans un cauchemar qui faisait écho à ses pires souvenirs. Dans le tourbillon de son rêve, il revivait la scène qu'il aurait donné n'importe quoi pour oublier : celle où Jordan, l'amour de sa vie, s'effondrait dans ses bras, la vie s'échappant de lui.

L'odeur métallique du sang lui revenait en mémoire, aussi vive que le jour où l'incident s'était produit. Gabriel revoyait les yeux de Jordan, autrefois si brillants, s'éteindre peu à peu tandis que son souffle se faisait plus laborieux. Ses mains, tremblantes de panique et de désespoir, tentaient en vain de stopper l'hémorragie. Le visage de son oncle, figé dans un rictus de froide détermination, s'imposa ensuite à son esprit, un rappel cruel de la haine qui avait brisé leur vie. Cette balle, Gabriel le savait, lui était destinée, et Jordan avait sacrifié sa propre vie pour lui.

Les derniers mots de Jordan résonnaient dans le rêve, aussi clairs que s'il les entendait à nouveau : « Je t'aime, plus que tout. » La voix de Jordan, douce et affaiblie, se mêlait à l'écho lointain de l'effondrement de son propre cœur.

Gabriel se réveilla en sursaut, le corps trempé de sueur et la respiration haletante. Ses mains cherchaient nerveusement autour de lui, comme pour s'ancrer à la réalité. La chambre était plongée dans l'obscurité, seulement éclairée par la pâle lueur de la lune qui filtrait à travers les rideaux. Une douleur sourde battait dans sa tête, résultat des pleurs de la veille et de la fatigue accumulée.

Un léger bruit le tira de son désespoir. Volta, qui avait passé la nuit devant la porte fermée, grattait doucement, accompagnant chaque mouvement d'un gémissement implorant. Gabriel ferma les yeux, luttant contre les vagues de tristesse et de culpabilité qui menaçaient de l'engloutir à nouveau. La loyauté de Volta, simple et sincère, était la seule lumière dans l'obscurité qui l'entourait.

D'une main tremblante, il se leva et ouvrit la porte. Volta bondit à l'intérieur, posant ses pattes sur ses genoux et léchant son visage avec une tendresse désespérée. Gabriel s'accroupit et laissa les larmes silencieuses couler à nouveau, trouvant dans la chaleur de sa chienne un semblant de réconfort.

Après quelques minutes passées à câliner Volta, Gabriel se releva lentement, le cœur un peu plus apaisé. La chienne le suivit de près tandis qu'il se dirigeait vers la cuisine. Dans toute la maison, tout était impeccablement rangé, chaque objet à sa place, chaque surface d'une propreté éclatante. Gabriel avait conservé cette habitude de Jordan, qui aimait que tout soit tiré à quatre épingles. C'était son moyen de maintenir un lien tangible avec lui, un écho de la vie ordonnée et harmonieuse qu'ils avaient partagée.

Il sortit un pot de café instantané du placard, ses gestes précis et automatiques. La cafetière se mit à siffler doucement lorsqu'il la remplit d'eau, rompant le silence pesant qui régnait. Le parfum amer du café se diffusa dans l'air, ravivant en lui des souvenirs de matinées ensoleillées passées ensemble, où ils échangeaient des sourires et des rires tout en préparant leur petit-déjeuner.

Gabriel s'appuya contre le plan de travail, ses yeux parcourant la pièce soigneusement ordonnée. Chaque détail lui rappelait Jordan : comment il aimait disposer les assiettes, ou le soin qu'il mettait à ranger le frigo. Le contraste entre ces souvenirs lumineux et le vide glacial qui l'enveloppait aujourd'hui était presque insupportable.

La cafetière se tut, et Gabriel se servit une tasse. Il la porta à ses lèvres et but une longue gorgée, appréciant la chaleur amère qui descendait dans sa gorge. Depuis la perte de Jordan, le café était la seule chose qu'il parvenait réellement à consommer. Ses problèmes d'alimentation étaient revenus, et il ne mangeait que le strict nécessaire pour éviter de s'effondrer.