Chapitre 4

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 Ils me regardaient, perdus. Je me mis à trembler.

Ils... étaient...

-Hitremi, répétai-je d'une voix blanche.

-Oui... dit Callia d'un ton interrogateur.

Les larmes me montaient aux yeux.

-Qu'est-ce qu'il y a ? s'impatienta Alex.

J'ouvris la bouche, la refermai. Comment annoncer ça ? Leur famille avait brisé ma vie.

-Je m'appelle Emy... Jamay, murmurai-je, tremblante.

Un silence, puis :

-J'ai pas entendu, rit Callia.

Mais Alex restait sérieux. Et il palissait.

-Quoi... ?

Je le regardai, les larmes aux yeux.

-Jamay... répétai-je avec le même ton.

Cette fois-ci, les deux entendirent. Et comprirent. Ils écarquillèrent les yeux en même temps.

-Tu es... bégaya Callia.

-Vous êtes ! répliquai-je, sur la défensive.

-Attends, tu... Vraiment ? demanda Alex, stupéfait.

J'ouvris à nouveau la bouche sans pouvoir sortir un son. Je finis par secouer la tête, faire demi-tour, et m'en aller.

C'est seulement dos à eux que je m'autorisai à me relâcher. Un sanglot muet me secoua, et je plaquai une main sur ma bouche.

Ça va aller, Emy, ça va aller. Respire, pitié, respire. Tout va bien, ça va. Respire.

Mon souffle était haché. Mon dieu, mon dieu, mon dieu.

Je fermai les yeux très forts. J'entendis, un peu plus loin derrière moi, les Hitremi discuter. Leurs voix étaient fortes, trahissaient la surprise et leur panique face à la situation.

Respire, Emy, tout va bien, tu ne les reverras plus.

Un autre sanglot, cette fois plus bruyant, s'échappa encore de mes lèvres. Je pressai encore plus ma main contre ma bouche.

J'étais en train de faire une crise d'angoisse, je le sentais.

J'en avais deux fois avant. La première, quand j'avais reçu l'appel de la police, pour m'annoncer l'accident. C'était le policier lui-même, à l'autre bout du fil, qui avait appelé l'hôpital. La deuxième fois, c'était quelque jour après avoir emménagé chez ma tante. On s'était dit qu'il était temps de discuter sérieusement de tout ça. Elle m'avait dit qu'elle ne pourrait jamais, jamais remplacer ma famille, pas seulement parce qu'elle était célibataire et sans enfants mais aussi parce qu'on ne trouve pas une nouvelle famille en claquant des doigts. Mais, a-t-elle enchaîné, elle me promettait de tout faire pour tenter de soulager ma peine. Elle m'a dit que si je voulais qu'on s'éloigne, parce que j'avais besoin d'être seule, elle comprenait, bien sûr. Mais si je voulais qu'elle tente de remplacer ma mère, même juste en partie, elle pouvait essayer aussi.

J'adorais ma tante, vraiment. C'était une femme merveilleuse. Mais en entendant ces mots, j'ai pété les plombs. Je suis sortie de la pièce en hurlant, qu'elle ne serait jamais à la hauteur, qu'elle ne pourrait même pas se comparé à elle, qu'elle ne devrait pas oser dire ce genre de choses.

J'étais montée dans ma chambre, j'avais claqué la porte, et j'étais tombée en fondant en larmes. Deuxième crise de panique.

Respire, Emy, pitié, respire.

Je sentais que j'allais céder d'une seconde à l'autre. J'inspirai une grande bouffée d'air, et commençai à accélérer le pas.

Pas devant eux, pas devant eux.

Je revis Maman, Papa, Thalia. L'image de l'accident sur un article du journal. J'imaginai la scène se passer au ralenti. Papa qui rigole avec Maman, Thalia qui, derrière, boude de mon absence. Puis une autre voiture arriver de l'autre côté. L'impact. Le looping. La tête de Thalia qui explose contre la vitre. Les éclats de cervelle qui giclent. Puis l'arbre. L'impact, à nouveau. La voiture qui s'écrase sur Papa. Le corps de Papa broyé par le métal. Puis le tour de Maman, ses os se brisent sous l'impact puis l'airbag qui la presse contre le siège...

Les larmes coulaient sur mes joues. Je n'arrivais pas à chasser ces images de mon cerveau. J'avais la nausée. Je fis encore quelques pas hésitants, puis je revis encore la mort de Thalia. Je me penchai et vomis. Heureusement, il n'y avait pratiquement personne aux alentours. Sauf Alex et Callia, qui accoururent en voyant mon état.

Alex attrapa mon épaule pour m'empêcher de tomber, tandis que Callia tenaient mes cheveux pour qu'ils ne se salissent pas. Solidarité féminine, supposai-je.

Une fois mon estomac complètement vide, je parvins à me redresser. Je me sentais sale, mon nez coulait, mes joues étaient complètement trempées de larmes.

J'entrouvris la bouche, mais je n'arrivais pas à respirer. Mes poumons refusaient de fonctionner. Je secouai la tête pour essayer de reprendre mes esprits, sans succès. Je vis le frère et la sœur se regarder d'un air inquiet, puis Alex dit quelque chose que je n'étais pas capable d'entendre à Callia, qui hocha la tête. Elle se tourna vers moi, et, d'un air réservé, me dit :

-On t'emmène chez nous le temps que ça aille mieux.

Je tentai de refuser. La dernière chose que je voulais, c'était me retrouver dans leur maison. Dans la maison de leur père défunt. Mais je n'étais pas capable de dire un mot, et ils m'ignorèrent quand je secouai la tête.

Callia m'attrapa la main, et me tira en avant. À contrecœur, je la suivis, le cœur serré. Je ne souhaitais pas rester une seconde de plus avec eux, mais je ne me sentais pas capable de rentrer chez moi. Ni même de retourner jusqu'au pont. Je ne pouvais même pas rejoindre ma famille, maintenant.

Je me promis que demain, j'y arriverais.

Alex m'attrapa le bras, d'un geste qui se voulait... je sais pas, en fait. On aurait dit qu'il cherchait ou à m'empêcher de fuir, ou à m'empêcher de tomber. Ils me tenaient chacun un bras, aucune chance que je puisse fuir.

Alors, tremblante, je me dirigeai vers la maison de celui qui avait tué ma famille.

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