(Si vous souhaitez une analyse d'un de vos écrits semblable à celle ci, contactez moi ici ou sur mon Babillard !)
Dans ce chapitre, j'analyse le prologue écrit par @lepetitcocon : le favori du peintre Xue Guanyu (il me semble que c'est un peintre imaginaire, inventé par l'autrice). Il s'agit d'une fiction se déroulant dans la Chine Ancienne, mais avec un élément fantastique (sans doute lié aux croyances chinoises traditionnelles), ce qui me fait hésiter quant à le classer "roman historique". L'autrice m'a demandé d'être franc quitte à la bousculer un peu.
Honnêtement, c'est un début que j'ai beaucoup apprécié, les rares erreurs orthographiques ont déjà été signalées donc je ne reviens pas. En revanche, même si l'époque n'est pas indiquée dans le prologue (j'ai cru lire Edo dans les étiquettes : il me semble que l'ère d'Edo est une époque japonaise et non chinoise, qui se déroule environ du seizième à 1868 : l'équivalent de nos "temps modernes"), j'ai buté sur le terme de "touristes". J'ignore à quel point les voyages de plaisance étaient la norme à l'époque du prologue qui m'a l'air plutôt traditionnelle, mais le terme de touriste, issu du Grand Tour effectué par les riches européens, et la considération, sont des notions contemporaines. Cela dit, je reconnais mal connaître la Chine ancienne, et, par exemple, j'ignore l'opinion "publique" sur le suicide, ni l'opinion religieuse : le suicide était il un tabou, jugé sévèrement ? Si c'est le cas, cela n'apparaît pas dans le prologue.
Dans ce prologue que je vous invite vivement à lire, une jeune femme est morte et son âme voit des hommes préparer le corps, sans pouvoir communiquer avec eux et sans souvenir sur la façon dont elle est morte. C'était une artiste et elle refuse l'hypothèse du suicide qui sera retenue, car elle sait qu'elle ne s'est pas volontairement donnée la mort.
Observation et confusion : assister à son propre rite funéraire
La scène se déroule sous l' "œil" de Jun Dingxiang, défunte la veille d'une lame de couteau. Elle commence par ses "paroles", ou pensées : elle a l'impression de planer... Puis, épanorthose (autocorrection, retour sur des propos) : en fait, elle vole, elle ne touche pas le sol. On a donc, en tant que lecteur, les sensations de l' "âme", qui ne comprend pas tout de suite ce qui lui arrive, dans sa confusion. En fait, ses certitudes apparaissent alors qu'elle observe la scène qui se déroule. Si elle accepte (avec chagrin et douleur) sa propre mort, de manière crédible (si on peut parler de crédibilité pour une scène fantastique), elle en comprend moins les circonstances. Le pathétique (= tristesse, éveil de la pitié) de la scène est bien rendu à mon sens : on est triste pour la jeune femme sans qu'on ait l'impression qu'elle s'apitoie sur son sort. Bien sûr, elle est d'abord choquée par sa mort, elle ne la "réalise" pas . Les puristes ne trouvent pas ce verbe élégant quand il est synonyme de "se rendre compte" : on peut réaliser un film, réaliser des analyses de livre ou réaliser ses rêves, mais "to realize" a donné, de fait, le verbe réaliser pour se rendre compte. Cela dit, dans l'extrait, le verbe est mis en perspective avec "irréel" : irréel/réaliser est une paronomase qui joue sur : c'est impossible, et pourtant... c'est bien ce qui arrive. Voilà pourquoi je n'ai pas d'avis franc sur ce verbe, dans ce cas précis.
On a aussi une vision panoramique du rite funéraire en Chine, on est immergé dans une époque et dans un contexte, avec des noms chinois, des costumes traditionnels (ex. le kimono qui peut aussi être chinois, même si je l'associais au Japon...). A mon sens, l'immersion est réussie, ni trop légère, ni trop lourde (on n'est pas dans du carton-pâte même si à personnel j'ai un faible pour le carton pâte - je sais, c'est du "mauvais goût" mais au pire on s'en br***e !). Les personnages qui effectuent le rite funéraire le font respectueusement, en observant les normes, même si leur déclaration (seule elle connaît les circonstances de sa mort) choquent Jun Dingxiang.
J'ai lu un livre indien de Bulbul Sharma, Mangue amère, des nouvelles ayant pour cadre une cérémonie funéraire. Dans l'une d'elles, le mort observe de là haut les femmes s'affairer au festin d'anniversaire des funérailles. Le traitement est, dans ce livre, plutôt amusant (il faut dire que la mort date d'il y a un an), mais c'est une idée que j'apprécie en général, que le mort voie des vivants s'occuper du corps.
L'impossible dialogue
Ce qui intéresse aussi l'évolution des sentiments, c'est que l' "explosion" de sentiments, le "craquage" pour parler peu élégamment, a lieu à la fin, après un élément déclencheur : les vivants déclarent qu'elle s'est sans doute suicidée, or il lui revient que c'était faux. Dans l'impossibilité de l'énoncer pour être entendue, car il y a une "barrière invisible" entre les deux mondes, elle se rend compte, par l'action, qu'elle est réellement morte. Quand une personne meurt, une chose est de le savoir, une autre est de se rendre compte qu'on ne peut lui parler de telle chose, ou aller lui rendre visite, et qu'on ne la reverra plus jamais.
Le dialogue montre ce que la protagoniste défunte souhaite répondre, mais elle ne sera jamais entendue. Elle hurle qu'elle souhaite revenir à la vie, qu'elle souhaite retrouver la gloire, qu'elle hait tout le monde... Ce qui semble sincère. Car c'est une jeune peintre des rêves plein la tête, qui ne semblait pas du tout dépressive ou mélancolique (si ces termes ont un sens en Chine ancienne). L'"injustice" de la mort contre la résignation : la résignation vient en premier, mais ce qui semble insupportable, c'est aussi qu'après le respectueux rite, elle sera "morte et enterrée", et le monde continuera de tourner sans elle. L'idée que l'oubli est une seconde mort me parle beaucoup à titre personnel, c'est pourquoi l'entretien de la mémoire (qui peut passer selon les cultures par l'entretien des tombes, même si ce n'est qu'un exemple) me semble fondamental.
Sauf qu'ici, les paroles de la défunte pourront revêtir un rôle "performatif" : dans le sens où ses paroles feront peut être effet, on sera dans de la parole magique. C'est une grande différence entre le conte/le récit fantastique et notre monde : une parole "en l'air" (malédiction, par exemple), peut faire effet ! Praline Gay-Para, conteuse libanaise, dit dans un de ses Contes populaires de Palestine (je les conseille) : "malheureuse, il ne faut jamais dire cela, sinon cela arrive !". On comprend ici (aidés du résumé) que les paroles de la malheureuse Jun sera une invocation.
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Je remercie @lepeticocon pour ce moment de lecture.
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Saggistica[OUVERT] Par où commencer ? Soumettez moi vos histoires et j'en analyse le début ! Ceci est un projet qui se veut un florilège, en quête de perles Wattpad. Un peu à l'image du prix de la Page 111, je n'analyserai que le début, appelé "incipit" par...