↪ 𝐔𝐍

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" Ce que jadis on nommait l'Amérique du Nord renaquit pour devenir Panem, un État totalitaire, treize districts accrochés à la main de fer du Capitole. Ce système d'oppression fut si imparfait qu'il provoqua une rébellion, vite éteinte pour douze districts, mais au prix du treizième, anéanti sous les cendres d'une guerre nucléaire. "

Notre professeur, silhouette austère dans l'écho des bancs, égrène l'histoire de Panem. Chaque mot m'endort un peu plus, ma tête posée contre ma main, griffonnant paresseusement sur le coin d'une page. Des crabes, des étoiles de mer, ces créatures m'obsèdent, leurs pinces et tentacules un spectacle quotidien, exaspérant. À ma droite, Leome, ma meilleure-amie, me raconte les derniers bruits du district. La moitié de ses mots me frôle sans s'attarder, perdue dans la mer de mes pensées, noyée par leur insignifiance.

" Et c'est ainsi que naquirent les Hunger Games, reprend le professeur. Une punition, un rituel pour rappeler aux districts leur place sous la botte du Capitole, pour anéantir tout espoir de soulèvement. Chaque année, deux malheureux, un garçon et une fille, sont désignés parmi les nôtres pour se battre jusqu'à la mort sous les yeux avides du Capitole. « Puisse le sort vous être favorable »... Quelle ironie, n'est-ce pas, dans ce système sans pitié ?"

Pour moi, le sort a toujours été d'une indulgence presque insolente. Née sous l'étoile éclatante du pouvoir, fille du maire du district Quatre, je n'ai jamais manqué de rien. On me nomme "privilégiée", un mot qui résonne comme un reproche, ancré dans chaque regard jaloux qui m'accompagne lorsque je passe. Ces pauvres créatures rampantes, me dis-je souvent, des âmes éteintes et fragiles, vêtues de haillons et tourmentées par la faim, indignes même d'un souffle de mon attention.

Le professeur s'immobilise soudain à côté de ma table, son regard sévère pointé sur moi, mécontent de mon indifférence. D'un mouvement lent, je laisse tomber mes yeux vers lui, lui offrant un sourire innocent qui, je le sais, sonne comme un affront. Mais il se détourne, résigné, et reprend sa leçon. Mon père est un homme influent, cela vaut bien quelques largesses envers sa fille adorée.

Certains élèves osent à peine effleurer mon regard, mais à l'instant où mes yeux s'arrêtent sur eux, leurs paupières s'abaissent précipitamment, emportant leurs âmes en retrait. Ils fuient l'ombre que j'impose, cette aura glacée qui les enveloppe, comme s'ils craignaient d'y être dévorés. Pauvres. Prolétaires. Inférieurs. Des silhouettes accablées, habillées de misérables étoffes, lestées de tesserae échangées contre de maigres miettes. Partout où je passe, ces regards chargés de jalousie et d'envie se traînent derrière moi, des murmures voilés d'amertume glissant sur mon sillage.

Dans leurs chaumières et foyers austères, je suis "la capricieuse", "la fille à papa", celle qui possède ce qu'eux n'osent qu'effleurer dans leurs songes. Ils ne se trompent guère. Leur mépris ne m'effleure même pas ; au contraire, il m'emplit d'un étrange et glacial contentement. Mes parents voudraient que je cultive une once de compassion, que je me plie à un humble silence, mais ils se méprennent : je ne suis pas née pour fléchir l'orgueil devant ceux-là. Ni aujourd'hui, ni jamais.

La cloche retentit, libérant la classe de cette torpeur insipide. Tandis que je rassemble mes affaires, le professeur nous adresse des vœux solennels pour la Moisson à venir, comme une prière suspendue dans l'air lourd de l'aube de nos destinées. Je sais qu'à mon retour, un ou deux visages manqueront peut-être parmi nous, mais cela effleure à peine ma conscience, sans chaleur, sans froid, comme une brise indifférente glissant sur ma peau. Ces absences ne sont que des ombres lointaines, des silhouettes qui s'effacent sans troubler la moindre onde en moi.

D'un geste tranquille, je m'enveloppe dans mon manteau, m'y abritant comme dans une carapace de velours et je glisse dans le flot d'élèves. Ils se pressent, avides de regagner leurs foyers et d'embrasser leurs proches, comme si chaque sourire, chaque mot, chaque souffle partagé en cette veille de Moisson pouvait être le dernier écho de leur chaleur.

❝ 𝐏𝐎𝐈𝐒𝐎𝐍 𝐈𝐕𝐘 ❞ ʰᵘⁿᵍᵉʳ ᵍᵃᵐᵉˢ ˢᵃᵍᵃOù les histoires vivent. Découvrez maintenant