3. Un destin

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Comme toujours, le coq réveilla le quartier à une heure imprévisible. La semaine passée, c'était à 3h du matin qu'il avait décidé de chanter, obligeant son propriétaire à distribuer des œufs pour apaiser les voisins les plus grincheux. Une autre fois, il s'était contenté de cocasser à 10h, mettant certains villageois en retard, car oui, pour une partie d'entre eux, c'était le coq qui faisait office de réveil. Mais aujourd'hui, à 7h précises, il honora enfin son rôle.

Jenin ouvrit les yeux à son chant, avant que son réveil mécanique ne se joigne à la symphonie quelques minutes plus tard. Le torchon qui lui servait de rideau laissa passer un rayon de soleil, forçant la jeune femme à se lever pour mettre fin à ce concert improvisé.

Elle jeta un coup d'œil rapide à son reflet dans le miroir et tenta d'arranger ses cheveux ébouriffés. Puis, elle descendit pour s'atteler à ses tâches quotidiennes : ranger la cuisine, préparer le petit-déjeuner de ses parents, laver le linge, l'étendre au soleil. Cette routine, si bien ancrée en elle, fut expédiée en moins d'une heure et demie. Elle s'occupa ensuite de sa chèvre, prénommée tantôt Biquette, tantôt Papyrus, selon l'humeur de celui qui l'appelait.

Après avoir nourri l'animal, elle sortit la laisse pour promener Tuff, son chien. Depuis quelques jours, il était particulièrement agité, et le faire obéir devenait un véritable défi. En s'agenouillant pour l'attacher, elle entendit une voix derrière elle.

— Bonjour, Jenin.

Elle se retourna et aperçut son père, adossé contre le mur du couloir. Il s'approcha, déposa un baiser sur son front et la serra dans ses bras. Ce geste, inhabituel venant de lui, la pétrifia. Elle se raidit instinctivement, consciente que ce type d'affection annonçait quelque chose d'important — et souvent, de désagréable.

Quand il s'éloigna, il plongea son regard dans le sien et lui dit :

— Ne traîne pas trop aujourd'hui. Nous avons des invités ce soir.

— Je les connais ? demanda-t-elle, méfiante.

— C'est une surprise.

Il ne lâcha rien de plus, et elle abandonna rapidement l'idée de tirer davantage d'explications. Saisissant ses chaussures et son sac, elle quitta la maison, le cœur déjà alourdi par cette annonce énigmatique.

Comme tous les samedis, Jenin s'aventura dans les ruelles, flânant au gré des étals, observant les passants. Le village grouillait de vie : une quincaillerie à droite, un salon de coiffure à gauche, un prêteur sur gages un peu plus loin. Le samedi matin était toujours animé, mais en empruntant quelques raccourcis, elle atteignit sans mal les abords du village.

Après une bonne heure de marche, elle arriva sur une petite colline où elle avait l'habitude de s'installer. Tuff s'était éloigné, flairant des pistes invisibles, mais finit par revenir, essoufflé et fier. Devant elle se dressait un abri de fortune : des planches de bois mal ajustées, une bâche tendue par des cordes, et en dessous, un chevalet de peinture avec un tabouret bancal.

Elle posa son sac, sortit une boîte de peintures, et se prépara. Cela faisait deux mois qu'elle travaillait sur cette toile. Chaque samedi, elle y ajoutait un détail, esquissant peu à peu son village : ses ruelles, ses maisons, ses fenêtres, et même les ombres qui jouaient sur les pavés.

Peindre, pour elle, était une libération. C'était un espace où elle avait le contrôle, où personne ne pouvait lui dicter quoi faire. Chaque coup de pinceau, chaque choix de couleur était sien, et cela lui suffisait à sentir qu'elle maîtrisait au moins une partie de sa vie.

Le soleil amorçait sa descente quand elle rangea ses affaires. La toile fut soigneusement replacée dans une cache sous l'abri, et les dernières croquettes laissées à Tuff. L'heure était venue de rentrer.

Sur le chemin du retour, Jenin sentit l'appréhension la gagner. Les « invités » ne présageaient rien de bon, surtout un samedi, son jour sacré de liberté. Arrivée devant chez elle, elle entendit des éclats de rire, et aperçut une lumière tamisée provenant de la cuisine. Elle poussa discrètement la porte et fila dans sa chambre sans qu'on la remarque.

Après avoir enfilé une tenue propre et rafraîchi son visage, elle fut interrompue par sa mère, qui entra précipitamment.

— Où étais-tu ? Ton père t'a demandé de venir plus tôt !

— Pardon... Tuff était un peu difficile à gérer aujourd'hui.

Mais sa mère ne l'écoutait pas. Elle lissait une mèche de ses longs cheveux noirs, réajustait le col de sa robe, et ajouta même des boucles d'oreilles qu'elle n'avait jamais portées. Elle recula d'un pas et la regarda avec un sourire.

— Tu es parfaite.

Jenin fronça les sourcils, méfiante.

— Maman, dis-moi ce qu'il se passe.

Un soupir échappa à sa mère, qui évita son regard.

— Tu es une femme maintenant. Il est temps que tu commences cette nouvelle vie qui t'attend...

Le sol sembla se dérober sous les pieds de Jenin. Elle savait exactement de quoi il s'agissait. Elle se sentit trahie.

Ils allaient la marier.

Tout en reprenant son souffle, elle sortit de sa chambre, la gorge nouée. Alors qu'elle descendait les marches, mille questions tournaient dans sa tête. Qui était l'élu ? Depuis combien de temps ses parents complotaient-ils ? Et surtout, comment avaient-ils osé trahir la promesse faite à Haizan ?

En entrant dans la cuisine, elle sentit la nausée l'envahir. L'homme qui était là, assis avec ses parents, était la dernière personne qu'elle aurait voulu voir ici. Pire encore, elle aurait préféré n'importe qui, même quelqu'un de l'autre côté, à lui.

The LineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant