Depuis la dernière fois que Maksance avait utilisé son ordinateur, ce dernier ne s'était pas rallumé. Comme la dernière fois, il attrapa son unité centrale et la fixa maladroitement à l'arrière de son vélo avec une sangle. Puis, il envoya rapidement un texto à son ami de toujours, Finn, avant de se mettre en route chez lui.
Les ouvriers étaient encore en train de faire couler du béton sur le bord de la route, tandis que les passants promenaient leurs chiens, tranquillement, en ce début de samedi midi. Maksance, tout en cherchant à éviter les nids-de-poule, se concentrant sur les routes les plus neuves pour ne pas secouer trop fort la cargaison qu'il avait bricolée avec une sangle. Sa mère ne comprenait pas pourquoi il ne demandait pas à Keyriel de l'emmener là où il voulait. Keyriel. Il faisait partie de ceux de l'autre côté. Et malheureusement, pour lui et des milliers d'autres, il n'avait pas réussi à rejoindre sa famille avant. Et il était trop tard. Tout ce qui était d'un côté de la ligne appartenait à ce même côté. Keyriel, comme les autres, vivait comme un intrus, rabaissé à endurer les métiers les plus durs et les plus déplorables, domestique parmi eux. Keyriel ne parlait pas leur langue, mais le Hyunit, la langue locale de Hyun.
Maksance, qui le connaissait depuis ses 4 ans, avait secrètement appris à parler le Hyunit grâce à lui. Et Keyriel aimait lui raconter les légendes, les contes que sa famille lui racontait autrefois. Il aurait tout donné pour retrouver sa famille, se disait Maksance. Parfois, il surprenait Keyriel dehors, en train de chanter et de ruminer, une mélodie douce et apaisante, un air qui lui rappelait sa terre natale. Et c'était dans ces moments-là, avec cette chanson résonnant dans l'air, que Maksance savait que leur pays ne pouvait pas être aussi vicieux que ce qu'on leur enseignait. Peut-être que c'était même grâce à lui qu'il avait commencé à douter de tout cela.
Maksance s'arrêta devant la maison de son ami, posa son vélo contre la voiture blanche. Il passa par le jardin, emprunta un petit chemin étroit entre le grillage de la maison d'un côté et le mur de son ami de l'autre. Puis, arrivé de l'autre côté, il se dirigea vers la petite cabane en bois où Finn stockait tout son matériel. Il poussa la porte du coude et entra dans la pièce. Le mur en face de lui était couvert de bibliothèques pleines de livres et de posters divers, et tout autour, des tables en bois avec des ordinateurs dernier cri, trois moniteurs de tailles variées. La fenêtre était entrouverte, et son ami était là, assis à droite de la porte, affalé sur son canapé.
Quand Finn aperçut Maksance, il se redressa en saisissant son t-shirt qu'il avait jeté en boule au sol, et ouvrit la fenêtre. Maksance, quant à lui, déposa son PC sur la table près de la porte avant de se diriger vers son ami.
— C'est vrai que ça sent le mort ici...
Finn se leva et lui fit une accolade.
— Mes parents sont partis avant-hier. Mais comme un connard, j'avais laissé mes clefs chez moi. J'attends le serrurier.
Maksance ne put s'empêcher de rire. Puis, il alla vers le mini-frigo de la pièce et en sortit deux bières. Il en tendit une à Finn, qui l'ouvrit en la mordillant.
— Bon, tu me veux quoi encore ? demanda Finn en se laissant retomber sur le canapé.
Maksance releva ses cheveux distraitement et soupira.
— Je l'ai encore pété.
Finn glissa une main dans sa poche, se leva lentement et se dirigea vers le PC. Puis, il s'arrêta un instant pour examiner l'unité centrale, attrapa son casque et le mit sur une oreille, avant de s'installer devant l'écran. Le son de la musique montait à fond. Maksance, ne s'en préoccupant pas, s'allongea sur le canapé et se mit à scroller sans but, son regard errant d'une vidéo à l'autre.
Une vidéo de danseuse, dénudée, affichant 19 millions de likes. Puis une autre, sur les dangers des technologies sur le corps humain, 378k likes. Et encore une autre. Et une autre. Les vidéos, les commentaires, les images se mélangeaient dans un tourbillon sans fin. Maksance se sentait se perdre dans cette boucle, comme toujours, sans parvenir à en sortir. Le temps filait à une vitesse folle. Il n'avait même pas remarqué qu'il avait été là pendant une heure, deux heures peut-être, avant que Finn ne l'appelle.
— Alors ? demanda Maksance en se levant.
— Ton machin n'a pas de problème, dit Finn, en partant chercher une autre bière.
— Comment ça ?
— Tout roule. Processeur, carte mère, j'ai même vérifié tes disques, aucun problème. C'est du tout bon.
— Virus ? Maksance croisa les bras.
— Rien. Juste des conneries inoffensives. Mais... Il se tut, comme pour peser ses mots. C'est quoi exactement que tu faisais sur ce PC ?
Une brève pause, et Maksance, inquiet, sentit une boule se former dans son estomac.
— Il s'est passé quoi déjà ? Quand ça a coupé ?
Finn le regarda, le visage soudain plus sérieux. Il scruta Maksance avec un regard calculateur.
— Putain de merde... Finn lâcha la bière avec violence sur la table, se leva et débrancha le PC de Maksance. Il attrapa un tournevis, le pointant vers lui, et Maksance, sur la défensive, recula en levant les mains.
— J'étais pas sûr... C'est pour ça que je suis venu te voir. Ça aurait pu être...
— Ya pas de "pas sûr" ! T'as foutu quoi sur ce machin, bordel ?! Tu sais ce que tu me fais risquer ? Ne me mets pas dans la même merde que toi !
La panique s'empara de Maksance. Il contourna Finn, attrapa son PC, et le transporta jusqu'à l'extérieur en un éclair. Derrière lui, il entendait les insultes furieuses de Finn. Il n'avait pas d'autre choix que de se soumettre aux conséquences de ce qu'il avait fait. Si le PC s'était coupé tout seul, c'était qu'il avait sûrement fouillé là où il ne fallait pas. Là, de l'autre côté.
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The Line
Ficção Científica"Jusqu'où compte tu courir ?" demanda Jenin. "Jusqu'à ce que je te rejoigne de l'autre coté." répondit Maksance. Deux pays. Deux peuples déchirés par la guerre. Une ligne. Un long grillage, impossible à surpasser, impossible à percer, impossible à e...