Prologue

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L'ambiance régnant dans la salle à manger ne s'est jamais faite aussi chaleureuse. Chaleureuse. Un mot bien peu représentatif des SS partout en Allemagne, et désormais en Europe. On est à juste titre réputés pour notre cruauté, que je qualifierais comme de totale servitude à notre pays. Nous sommes prêts à tout pour le Reich, car le Reich est prêt à tout pour sa population d'élite.

J'observe mes camarades, tous le sourire aux lèvres, les joues rosies par un excès de schnaps, ils rient aux éclats face à cette victoire plus que facile. Nous célébrons l'acquisition de l'Autriche aux terres de l'empire. Le 12 mars 1938 est une date à marquer d'une croix rouge sur le calendrier.

« Alors Klaus ! On t'entend pas beaucoup ! S'écrie Günther d'une voix pâteuse d'alcool.

– Je n'ai pas grand-chose à dire. Nous avons eu l'Autriche sans avoir eu à verser une quelconque goutte de notre sang, que dire ?

– Heil Hitler !!! »

Nous levons tous notre bras droit en cœur, et je comprends très vite pourquoi personne ne l'abaisse. Le supérieur est là, le chef de notre division. Il s'approche doucement dans la salle, avec un calme qui me fait encore froid dans le dos. Ses yeux plus flamboyants qu'un brasier nous sondent avec un mépris évident, accompagnés de ses sourcils tranchants. Je pourrais jurer qu'il nous déteste tous. Il marche, encore, accentuant mon angoisse mystérieuse au creux de mon estomac. Sa mâchoire saillante se crispe, le chef enlève les quelques poussières sur son uniforme avant de gronder, d'une voix aussi froide que sa personne autoritaire.

« Repos. »

Je surprends mon frère d'armes, Günther, esquisser un sourire de je ne sais quel type. Je lui tape alors l'arrière du crâne.

« Reprends-toi ! Tu veux que le Capitaine t'envoie courir jusqu'à ce que tes membres se nécrosent ?!

– Hoffmann, détends-toi ! T'es trop naïf mon petit. Je respecte le Capitaine, mais c'est un homme comme nous. »

Un silence suit, pesant et long. Je doute énormément ce que Günther m'annonce. Je sens que le Capitaine n'est pas qu'un simple homme, il n'est pas comme nous. Il est différent. Je suis ici depuis tout juste trois mois, et cela me suffit à constater son manque cruel d'empathie pas seulement en tant qu'officier mais en tant qu'homme, tout comme ses réactions totalement imprévisibles, souvent cruellement aberrantes et impulsives. Je vois souvent ses tentatives inespérées de contrôler ce comportement égoïste, agressif et violent mais, le moindre faux pas, et ses foudres s'abattent sur nous.

Les prunelles du supérieur nous analyse un à un et s'arrête sur mon visage décomposé par l'appréhension. Il me pointe du doigt.

« Toi ! Tu viendras me voir dans dix minutes. »

Mon cœur manque de s'arrêter mais je ne proteste pas, me contentant d'un salut hitlérien peu assuré. L'officier repart, aussi froidement que ce qu'il est venu, me laissant totalement incrédule et soumis aux petits rires de mes amis. Je toussote, pressentant le pire. Si le Capitaine convoque, c'est pour des motifs de la plus haute importance. Et je n'ai absolument pas la carrure pour assurer ce qu'il va me confier dans sept minutes déjà. Je ne suis doué que pour être le petit Klaus Hoffmann, petit soldat qu'on ne remarque pas, ce genre de soldat qui peut mourir en première ligne et oublié le soir même. Je soupire.

« Décrispe-toi Klaus ! Ricane Günther.

– Facile à dire, c'est pas toi qui a été convoqué dans le bureau du Sociopathe !

– Tu es tellement discret qu'il doit juste vouloir savoir qui tu es.

– Hilarant, moi je me serais bien passé de le voir.

– Fais gaffe à comment tu parles du Capitaine, gamin !

– Ouais, respecte et tais-toi ! »

Je ne dis rien face à cette nuée de protestation venant des plus fidèles à l'officier. Je ne comprends encore pas pourquoi, mais malgré son jeune âge, il est plus respecté que la plupart de ses camarades gradés. Günther me tapote l'épaule, signe qu'il est temps pour moi d'aller signer mon arrêt de mort.

Je déambule entre les tables animées de soldats éméchés, sentant un nœud se former au niveau de ma gorge, accentué à la vision horrifique de la porte en bois de chêne massif, sculptée avec une minutie à l'image de sa sociopathie. Je finis par toquer, très peu sûr de moi.

« Rentre. »

Sa voix glaciale sonne comme un glas dans mon esprit, mais je pousse la poignée. Je n'arrive pas à m'attarder sur l'environnement de son espace de travail personnel. Ce que je remarque, c'est lui. Lui. Lui et seulement lui. Il occupe toute la place de la pièce au point que j'en ai le souffle coupé. Il me dévisage sans retenue, le menton posé sur ses mains entrelacées, je prie discrètement pour l'existence d'une quelconque divinité pouvant me sortir de cette catastrophe. Cette catastrophe toujours bien coiffée, sa chevelure brune plaquée avec quelques mèches tombant sur son front, qui amènent un fort contraste avec sa peau porcelaine et ses prunelles de feu. Je ne bouge pas jusqu'à ce qu'il me l'indique.

« Je t'ai fait venir pour les résultats des tests d'aptitudes physiques et mentales d'il y a deux semaines. »

Je hoche la tête, me rappelant soudainement sa façon de punir ceux qui ne lui obéissent pas comme il le voudrait. Ce Sociopathe se fout royalement des codes imposés par Himmler, il nous entraîne presque à sa façon, répète sans cesse que " les meilleurs soldats sont ceux capables de réfléchir ".

Voyant que je suis incapable de parler, il continue.

« Et comme l'officier exemplaire que je suis pour vous, je les ai tous regardés avec grande concentration. Je pense que tu sais que chaque officier a un bras droit, qui est chargé de prendre sa relève au cas où un malheur arriverait. Ce choix se fait donc par rapport aux résultats de ces tests, à l'entrée dans la SS et quelques temps après. Après maintes vérifications et réflexions, j'ai décidé que tu serais le plus apte à être à mes services, car bien évidemment, être mon bras droit ne t'accorde que le bénéfice de rester en vie. »

Peinant à assimiler toutes ces informations, je reste dans mon mutisme, réalisant chaque jour un peu plus la folie de cet homme. Être le bras droit d'un gradé est un privilège, et pour lui, ce privilège n'est synonyme que de pouvoir rester en vie si lui le veut. Son regard semble sur le point de m'arracher un organe vital.

« Maintenant, réponds-moi.

– En quoi consiste mon rôle? Demandé-je, sachant pertinemment que je n'ai pas le choix.

– A être mes yeux et mes oreilles parmi les soldats de bas-étage que vous êtes tous, vois-tu ? Tu devras me faire des rapports de vos désirs, vos remarques, ce qui ne vous plaît pas, de vos expéditions en ville, des opposants arrêtés. Tu devras également me seconder dans mes tâches, collaborer avec moi tout en te rappelant que je suis supérieur à toi, tu devras te faire respecter tout en te rappelant que désormais, ta loyauté ne va plus à tes camarades mais à moi.

– Et au Führer ?

– Cela va de soit, me répond-il de façon pas assez convaincu à mon goût.

– Très bien, Capitaine.

– J'oubliais, soldat Hoffmann. Vous devrez me rejoindre tous les jours au quartier général deux heures plus tôt. Cette discussion doit rester pour le moment confidentielle. »

Je n'ai pas le temps de bien assimiler la phrase que le Sociopathe me renvoie malproprement de là où je suis venu. En y réfléchissant bien, cette opportunité qui me fait face s'avère finalement être plus qu'alléchante. Le comportement du Capitaine n'est que secondaire dans l'histoire, ce sur quoi je vais me focaliser, c'est mon intégration complète que je me bats à obtenir, et je l'aurai, peu importe comment.

Le SociopatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant