27 avril 1938.
Solidement ancré sur ma chaise, à la droite du Capitaine, je les écoute parler des nouvelles mesures, forcées bien sûr, contre le peuple juif. Depuis 1933, la scène internationale les voit comme des victimes de lois injustifiées, mais pour les allemands, nous les aryens, nous prenons notre destin en main, nous désirons et nous aurons une puissance mondiale que nous méritons tant.
En me perdant soudainement dans mes pensées, je peine à revenir à la réalité lorsque la voix du Sociopathe m'appelle.
« Hoffmann ?
– Excusez-moi, j'étais ailleurs. »
Ses yeux menaçant m'intiment que ce genre d'attitude ne doit pas se reproduire, je déglutis en me focalisant sur la conversation. Les officiers parlent de l'obligation des juifs d'enregistrer tous leurs biens, nous permettant de les réquisitionner pour le bien du Reich. Nous nous attardons sur une famille problématique, les Schröder. Aucune coopération de leur part, que ce soit des parents, des enfants et leurs conjoints. Malgré leur généalogie plus qu'aryenne, ils persistent à se ranger du côté des juifs, en menant des petits actes de rébellion absurde qui ne peuvent pas être punis pour le moment. Le père, Friedrich Schröder, est patron d'une usine d'armement permettant à la Wehrmacht ; le seul corps armé qu'ils semblent respecter. Donc, jusqu'à réception d'un ordre supérieur au Capitaine, nous nous contentons de simples menaces, en vain.
« Ils ont une fille aînée, dans la vingtaine d'années. Une dénommée Katerina, c'est elle qui alimente la haine familiale, commence un type trapu.
– Effectivement, continue un autre. C'est elle qui faut prendre en joue.
– Et vous croyez qu'attaquer frontalement sera bénéfique ? Intervient le Sociopathe avec un rictus moqueur et arrogant. »
Sa voix rauque entraîne un lourd silence amenant un frisson de gêne le long de mon épine dorsale. J'observe rapidement son profil toujours autant crispé, ses lèvres rosées incurvées, faisant apparaître une fossette à leurs commissures. Quelle contradiction, un trait physique si attendrissant pour une personne hideuse. Le regard des vieux officiers s'attardent sur lui, ce qui n'a pas l'air de l'intimider. Un lieutenant-colonel rétorque.
« Enfin gamin, tu ne crois pas nous faire la leçon ! Tu n'as rien vécu et tu crois qu'on va écouter tes suppositions ? Nous avons largement plus d'expérience que toi et tes trois décennies de vie, alors nous allons faire comme à l'époque, quand les gradés n'étaient pas des mauviettes !!! »
A ces paroles plus que provocatrices et agressives, je peux sentir l'aura du grand brun à côté de moi s'envenimer de tendances meurtrières. Il sourit, rit presque, une lueur diabolique dans les yeux avant de se lever, abattant violemment la paume de sa main sur la table. Le bruit résonne, accompagné du hurlement de l'officier.
« Vous vous foutez de moi ! »
Je tente tant bien que mal de cacher mon sursaut, en vain, à la vue du mauvais regard que l'agressif officier me lance. J'avale avec peine, comme tous les bras-droits ici présents, nous ne savons plus où nous placer. Le Capitaine reprend.
« Vous vous foutez grandement de moi ! Ne me faites pas rire avec vos sermons dépassés. Vous ne vous souvenez donc pas ?! Vous ne vous rappelez pas de ce à quoi vos plans ont mené ? Votre méthode est plus que médiocre, il n'y a qu'à constater votre responsabilité grands officiers que vous êtes, dans l'armistice d'il y a 20 ans !!! »
J'aurais tout donné pour ne pas être à ses côtés, tout pour ne pas être associé à lui. Je ne veux pas être pareil que ce fou furieux. Les regards ternes des plus vieux s'animent d'une étincelle amusée, du coin de l'œil, je remarque que mon supérieur est prêt à tous les démolir un à un. Il respire brusquement, sa pomme d'Adam prête à trancher la peau fine de sa gorge immaculée, sa mâchoire se crispe, il ferme ses grands yeux d'ambre avant de réitérer ses propos.
« Ce que je veux dire par là... C'est que votre âge ne définit pas le mérite de vos méthodes, surtout dans un contexte pareil. Votre façon de faire est dépassée dans le sens où le Führer veut depuis cinq ans une Allemagne nouvelle, une Allemagne animée par le flambeau des jeunes, une nation intelligente, sagace qui se renouvelle afin de réussir ce que Hindenburg et avant l'Empereur n'auraient jamais envisagé possible. »
Mes pensées dénuées de sens se perdent sur l'élocution très persuasive de l'officier supérieur. Cependant, peu de visages s'adoucissent, ils semblent tous extrêmement méfiants, voire effrayé par le comportement sanguin d'un des plus jeunes gradés de la salle. Le même bonhomme trapu, un quinquagénaire, sourit, dans un élan de bienveillance plus que nécessaire.
« Capitaine Wagner... On entend vos idées, et nous les respectons comme celles des autres. On les prend en considération, mais vous ne pouvez pas vous permettre de nous parler sur ce ton. Cette agressivité, vous devez la garder pour casser du Juif et vous rappeler que nous partageons le même but malgré nos différents. »
J'esquisse aussi un faible rictus à cet homme, son tempérament calme, posé, mais à la fois amusé et jovial me rappelle le sien autrefois... La respiration du haineux Rafe Wagner s'apaise tout doucement. Je soupire de soulagement, mais ce n'est que de courte durée quand celui-ci gronde.
« Hoffmann, on y va.
– La réunion n'est pas terminée, Capitaine.
– Elle l'est, je n'ai plus rien à dire. Suis-moi. »
Nous les saluons d'un bref salut hitlérien avant que le Sociopathe me sème presque au milieu des corridors. Une fois à l'extérieur, je lui demande de s'arrêter.
« Eh bien, tu es si peu endurant ? Me nargue-t-il.
– Je ne comprends pas, pourquoi vous êtes-vous enfui ? »
Il ricane, ne s'arrêtant pas pour autant. Je le poursuis, en paraissant le plus professionnel possible, je lutte avec l'irrésistible envie de lui coller une gifle en plein visage. Je pense que cela pourrait remettre le peu de neurones en sa possession en place. Cet homme mesurant presque deux mètres avec une carrure digne d'une armoire à glace agit comme un véritable gamin. Je finis par m'asseoir contre un muret, prêt à savoir jusqu'où pourrait-il marcher sans se rendre compte que je ne suis plus à sa droite. Je ricane à mon tour, voyant l'absurdité de la chose. Je me demande bien comment est-ce possible que Wagner puisse inspirer une telle crainte au sein de sa division, et pourtant agir comme un enfant en manque d'affection face aux officiers.
Après seulement trois mètres parcourus, le Sociopathe se tourne, lève les yeux au ciel avant de revenir vers moi, plus qu'agacé. Il s'approche et me menace de sa question.
« Que fais-tu bordel ?!
– J'attendais que vous calmiez vos sottises.
– Tu commences à me taper sur le système Hoffmann, dépêche-toi de me suivre avant que je te tue.
– Vous ne pouvez pas me tuer. »
Lui rappelant cette triste réalité, il soupire, avant de se remettre à marcher presque au pas de l'oie. Je le suis sans broncher, fatigué de lui tenir tête face à ses enfantillages depuis plus d'un mois seulement. J'en viens à regretter d'avoir excellé aux tests. Nous arrivons à notre propre QG, celle de notre division. Voilà un lieu où je pourrai avoir un semblant de sécurité face à ce fou ingérable. On se déteste mutuellement, et on se doit de cohabiter, collaborer, pour le bien national, seul point commun qui nous rassemble.
Le fou zieute un instant le soleil d'avril fracasser les fenêtres, et je sens déjà sa jubilation lorsqu'il scande à la vingtaine de soldats présents.
« Habillez-vous, nous allons courir ! »
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Le Sociopathe
Fiksi SejarahC'est en 1938 que tout commence, dans une Allemagne nazie déchirée par la haine et glorifiée par une puissance idéologique. Dans ce chaos des esprits se montre Klaus Hoffmann, jeune soldat SS, trop jeune pour se montrer et normalement trop jeune pou...