Chapitre 2

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Mes poumons sont sur le point de me lâcher, j'en suis sûr. Le peu d'air assez coriace pour pénétrer mon corps me brûle tout l'organisme. Des gouttes de sueurs perlent sur mon visage, dans mon cou, sur mon torse, au creux de mes reins... Je souffle, d'un souffle tremblant et timide, il ne manquerait plus que quelqu'un remarque ma faiblesse. Mes muscles me tirent, à un point où je découvre l'apparition de certains. J'observe les autres, dans leur uniforme de sport SS, à courir dans le Tempelhofer Feld, la tête rouge vif, luisante de transpiration, les traits tirés par l'épuisement. Car non, ce n'est plus de la simple fatigue, je suis prêt à parier que nous nous sentons tous à deux doigts d'une mort douloureuse suite à l'effort.

Je puise dans mes dernières ressources, torturant mes adducteurs afin de trouver ce foutu Capitaine Wagner. Lui et ses foutues idées louches, ses entraînements intensifs, ses courses à pied digne d'une marche au trépas commencent à m'exaspérer. A croire qu'il nous hait, à croire que quelqu'un lui a mis le couteau sous la gorge pour s'engager et s'occuper de ses hommes, qui le craignent comme ils l'admirent.

Je le vois. Lui et sa dégoûtante et seule perfection physique, purement physique. Comme dirait ma mère, le Diable se déguise en ange pour nous attirer avec lui dans ses péchés. Il court, n'ayant pas l'air perturbé par le soleil devenant flamme grâce au goudron du Feld. Je l'appelle, avec tout le professionnalisme possible.

« Continuez à courir ! Ordonne-t-il en s'éloignant avec moi. Que se passe-t-il encore, Hoffmann ?

– On ne peut pas continuer.

– Si vous pouvez. Puisque je l'ai dit.

– Enfin Capitaine ! Cela fait des heures qu'on court comme des écervelés, votre but est de nous achever ?

– Ne sois pas excessif, ce n'est pas de ma faute si tu n'es pas aussi endurant que ce que tu le prétends, me nargue-t-il avec un éclat de moquerie dans les yeux.

– Faites ce que vous voulez Capitaine, mais moi je ne cours plus. Vous pouvez m'abattre là, ça m'est égal. »

Il semble exaspéré par ma conduite enfantine, mais si je dois le prendre à son propre jeu pour avoir un peu de justice ici, j'y suis plus que prêt. Tout à coup, ses mains attrapent le col de mon débardeur blanc avec une brutalité déconcertante. Soumis à un état de pantin, trop surpris pour riposter, je reste là. Wagner me rapproche de son visage fulminant de rage, je sens son souffle mentholé et erratique contre ma peau humide, ses prunelles me sondent avec agressivité. Il prend un malin plaisir à susurrer à mon oreille d'une voix faussement calme.

« Tu ne devrais pas autant jouer avec mes nerfs, Hoffmann. Tu ne devrais pas... Je vais arrêter le footing juste pour l'opinion publique, car tu me l'as si bien demandé. Mais mets-toi une autre fois en travers de ma route, tu te souviendras de qui est le soldat soumis de l'histoire. »

En une fraction de seconde, le voilà parti annoncer le voyage de retour jusqu'à la base en marchant cette fois-ci. Je demeure ainsi, perché tel un épouvantail, le souffle court, tétanisé par sa violence, sa froideur émanant de sa voix, de lui tout entier, sa capacité déconcertante à pouvoir arracher la vie à n'importe qui le contrariant. Je le regarde rebrousser chemin, satisfait qu'il ne daigne pas poser ses yeux de rapace sur moi, un monstre pareil, ayant un talent pour être inhumain ne le mérite pas.

***

Enroulant une serviette autour de ma taille, je sors de la douche commune afin d'enfiler mon uniforme de soirée. Günther ne devrait pas tarder à me rejoindre pour qu'on parte ensemble, mais le Capitaine Wagner l'a convoqué pour son comportement apparemment désinvolte. Ce taré ne supporte aucun écart de personne. Du coin de l'œil, j'aperçois celui-ci discutant allègrement avec deux autres officiers venus de Munich. Nos regards se croisent un instant, ce qui a l'habitude de tordre mon estomac d'une haine sans pareille avant que je reprenne mes activités.

Le SociopatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant