Chapitre 5

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Appuyée contre un strapontin dans le métro, je regardais les gens autour de moi. Le jeudi soir, il n'y avait quasiment que des étudiants ivres. Et c'était vraiment amusant de les regarder. J’aurais pu faire ça pendant des heures si mon téléphone ne s'était pas mis à vibrer. Malgré le bruit, je décrochai :

_ Jeanne ? Ça va ?

_ Est-ce que t'es en vie, Tanouille ?

Rhaaa ce surnom. Comme je détestais mon prénom, ma famille s’était amusée à m'appeler comme ça, et évidemment, Sylvain et Jeanne avaient adoré. Ils étaient les seuls autorisés à m'appeler de cette manière. Les autres, même si je n’aimais pas, utilisaient mon prénom. Et certains préféraient mon nom de famille, Harris, qui était soi-disant cool.

_ C’est plutôt à moi de demander ça. Ça fait trois jours que je t'ai pas vu…

Mon amie soupira, et j'entendais très bien à sa voix qu'elle était exténuée.

_ On est en sous-effectif et ils ont besoin de moi… Je… Ça me gène de demander ça, mais est-ce que tu pourrais m’amener des sous-vêtements, s’il te plaît… ?

_ C’est légal de te faire bosser autant ?

_ Plus ou moins… Bref, tu peux s’il te plaît ?

Je souris malgré moi.

_ Après tout ce temps, je suis surprise que ça te gêne encore de me le demander. Tu es au courant que je serais toujours là pour toi, hein ?

_ T’es un amour Tania. Je t’aime. Je te laisse, un mec bourré vient d'arriver avec la tête en sang !

Je n’eus même pas le temps de répondre, Jeanne avait déjà raccroché. En arrivant peu de temps après à la coloc, il n’y avait personne. C'était jeudi soir, la plupart dormait ou était en soirée étudiante. Rapidement, je me rendis dans la chambre de Jeanne, attrapai un de ses tote bags - elle en faisait la collection - et lançai dedans le B.A.BA. Culottes, chaussettes, soutifs. Je lui glissai dedans aussi quelques carambars et des barres de céréales. Puis, une fois le sac plein, je m'en allai, souhaitant arriver le plus vite possible.

De nouveau dans le métro, je réfléchissais à Jeanne. Je détestais le concept de “meilleur ami”. À mes yeux, on avait de nombreuses connaissances, quelques copains, et de très rares amis. Ceux que je considérais comme de vrais amis étaient déjà les meilleurs, et je n’allais jamais m'amuser à faire une hiérarchie entre eux. Jeanne était donc une amie précieuse, un être cher à mes yeux, que j’aimais énormément. Et comme j'étais une personne très franche, je n'hésitais pas à lui dire et lui répéter. Si je devais avoir qu’une seule devise dans ma vie, ce serait ça : “Vis ta vie en essayant d’avoir le moins de regret possible, et par-dessus tout, n’aies jamais le regret de ne pas avoir dit à tes proches que tu les aimes.”. Tous le savaient, et même si certains - comme Aurélien - n'étaient pas très démonstratifs, tous savaient que moi, je l'étais et que c'était important pour moi de dire les choses.

Quelques minutes de métro et de marche après, j’arrivais enfin devant le bâtiment des urgences. Jeanne était justement là, assise sur un banc, en train de fumer. Elle avait beau être un peu pâle et avoir des cernes de fou, je la trouvais quand même superbe : des cheveux châtains coiffés en chignon, de magnifiques yeux bleus-gris, de jolies formes… C'était vraiment une très belle femme. Et dire qu’elle complexait sur ses 10 kilos “en trop”.

_ T’es médecin, tu devrais savoir que cette merde est mauvaise pour toi…

_ Je ne suis pas encore médecin, j'arrêterai dans quelques années, promis.

Je lui tendis le sac, en demandant :

_ T’as abandonné le gars en sang ?

_ Il est au bloc, et comme je suis KO, on m’a dit d’aller me reposer un peu. Je t’attendais.

J’avais un respect monstre pour Jeanne. Pour tout le personnel soignant de manière générale, mais encore plus pour mon amie.

_ Bon… C'est gentil d'être venue, mais je vais devoir te laisser… déjà… Je vais aller faire une sieste avant de reprendre à 5h.

_ T'inquiètes, il n’y a pas de souci. J’ai signé en connaissance de cause.

Jeanne rigola d’un rire sans joie, s'approcha de moi pour me faire la bise, et rentra de nouveau dans le bâtiment, son tote bag à la main. Elle était vraiment en mode zombie… La pauvre. Une fois seule, je regardai ma montre. Soit je me dépêchais et j'arrivais à chopper le métro, soit j’en avais pour bien une heure et demi de promenade… Bien que nous étions en novembre, il faisait plutôt bon, et je savais que j’allais prendre des chemins éclairés pas trop fréquentés par les gros lourds… Va pour la balade.

Bac-8 en amour (Histoire lesbienne)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant