Le vent souffle - les lois du désert

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(Ce projet est désormais fermé, j'analyse comme convenu les livres qui m'ont déjà été demandés, en revanche, les nouvelles demandes ne sont plus prises en compte. Peut être le rouvrirai je un jour, je cite Carmen : peut être jamais, peut être demain, pas aujourd'hui, c'est certain.) 

Ce chapitre est consacré à l'analyse d'une nouvelle d'une autrice, Isabella, @BellaForever9. Elle s'intitule les lois du désert, et d'après le résumé, cette nouvelle de 1800 mots m'a l'air allégorique et mystérieuse. (Pour informations, les chapitres de mon roman après vous, considérés comme courts, font 1500 mots). Je trouve le style beau, contemplatif, il me réjouit de le lire. Lisez la ! 

"le désert n'est pas fait pour les Hommes, surtout pour ceux qui pensent pouvoir se mesurer à lui". C'est une intéressante citation, et "lui", grammaticalement, ne se dit que des "animés", humains et animaux : pour un inanimé, on dit "celui ci". Il s'agit donc, consciemment ou non, d'une personnification du désert. L'homme qui veut pleurer ne le peut tant il manque d'eau, vaincu par le désert aride. D'autres "trouvailles" sont faites, et le titre de la nouvelle au rythme lent prend tout son sens à la fin. 

Homme et désert, homme et foule 

L'homme, tout au long de la nouvelle, est encapuchonné, son habit possède des interstices entre lesquels s'immisce le sable. Il s'aventure dans le désert, et tout au long de la nouvelle, est décrit dans l'opposition. Vers la fin, lorsqu'il est décrit pour ce qu'il est, c'en est presque décevant : et il passe de cet individu mystérieux en quête de quelque chose à cette personne quelconque. "ni beau ni moche" : la magnifique écriture se fait elle même simple et prosaïque, pour appuyer la déchéance.

L'homme est opposé aux "gens du désert", à la foule animalisée et "mugissante". Elle pousse des "rugissements", autre animalisation. Cette foule spectatrice, violemment repoussée par l'homme, le voit de loin. Elle se demande ce qu'il adviendra de l'homme; du protagoniste dont elle ignore tout, et qu'elle qualifie sûrement de "fou". On a l'homme, sa mystérieuse quête, et le désert, auquel l'homme "se mesure", qu'il "affronte". On a très schématiquement une histoire. La foule, elle, joue le rôle des lecteurs de récits narratifs. Face à ce marginal qui s'extrait d'elle, la foule, traitée comme une seule personne, déclarera sûrement "vous voyez, il s'est mesuré au désert et il  a perdu". Elle tirera une "morale", une "leçon" de l'histoire. 

L'homme est opposé à l'élément naturel qu'est le désert. L'écoumène désigne un endroit habité par des humains, le désert, lui, n'est "pas fait pour les hommes", y aller lors d'une tempête, c'est transgresser la règle. En termes de loi, il peut y avoir confusion entre la loi "naturelle" et la loi "humaine", ce que Nietzsche a pu critiquer. Par exemple, quel rapport entre une loi de Newton et le Code Pénal ? Ici, bien qu'il ne s'agisse pas de "morale", la loi naturelle ne peut être transgressée. Le mirage est assez prévisible, mais l'homme l'ignore. 

Un aventurier imprudent, un Prométhée 

Face à ce décor presque biblique, on est tenté de remonter à l'Antiquité. Par exemple, (exemple mythique et non biblique), l'homme qui met longtemps à monter sur la dune et qui redescend en quelques secondes m'évoque le rocher de Sisyphe. On peut penser à d'autres mythes, comme celui de l'orgueilleux Prométhée qui incarne la condition humaine. 

L'écriture est assez neutre, distance, assez "parnassienne" : en poésie, le Parnasse incarné par Lecompte de Lisle, Sully Prudhomme (premier Nobel de littérature) ou Théophile Gauthier désigne des poèmes sans "je", sans passions ni engagement mais d'une grande beauté formelle. J'ai eu du mal à identifier la focalisation : l'homme ne parle pas une seule fois, on a peu accès à ses pensées, et ses mouvements et actes sont décrits avec davantage de précisions que ses états d'âmes (ce qui n'est ni bien ni mal, c'est un choix littéraire). 

Cet aventurier, plus il est mystérieux et moins il est consistant, plus il semble puissant. Comme si au fur et à mesure qu'on l'apercevait, on se désintéressait de son aventure, qui se termine "mal". Le texte arrive à nous faire comprendre que la loi est enfreinte, sans en faire un récit moralisateur. A ce titre, on se distancie du personnage, mais aussi de la foule qui commenterait "il y a été et a perdu la vie" (sous entendu : bien fait, il est imprudent). (On ne s'aventure pas [...] dans le désert : moralité de la foule, connue dès le début). Cette mise à l'épreuve désertique n'est une aventure, interne, que parce qu'il y a une histoire : le héros, en se "créant" une aventure, se conçoit lui même comme héros. Il a "joué au héros", en quelque sorte.

"Comme tous les autres idiots" marque un tournant. Car l'homme, isolé, est en fait un parmi d'autres qui ont joué aux héros (la chèvre de M. Seguin fait comme les six précédentes et il lui arrive la même chose). Lorsqu'il se dévoile, c'est davantage encore un homme "comme d'autres". 

Pour Tchekov, l'auteur n'a pas à juger ses personnages, en revanche le lecteur est juge. Quel est mon verdict ? Eh bien, le désert, bien que personnifié n'est pas objet de droit. Ou plutôt, "la nature reprend ses droits".  Et si le personnage a tort de se concevoir comme héros, la foule, elle, a aussi tort de "faire une morale" à partir de cette histoire : le désert reprend "naturellement" ses droits. Et si je veux m'aventurer plus loin dans le désert de l'analyse littéraire, je dirais que la foule représente les lecteurs, le personnage le héros, et le désert l'aventure, ou l'antagoniste qui la permet. Le dénouement est connu. (je me doute que l'autrice n'a pas voulu consciemment en venir là, et c'est toute la question : peut on dire des choses "pas faites exprès" par l'auteur en analyse littéraire ?). 

***

(deux (seulement !) erreurs orthographiques : au gré (et pas au grès), des yeux marron (pas d'accord, pas "marrons"). 

Merci beaucoup, @BellaForever9, pour ce moment  de lecture. 

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