Les médecins la repoussèrent avec véhémence, comme ils auraient fait avec un chien un peu trop hargneux auquel ils auraient donné un coup de pied pour se défendre. Elle laissa échapper un sanglot avant de s'effondrer sur le sol. Un infirmier lui prit le bras et lui administra un calmant tout en l'éloignant d'ici.
Ici c'était la chambre 304, chambre dans laquelle pourrissait son frère depuis le printemps dernier. Elle venait le voir tout les jours, sans exceptions, pour sentir son odeur, pour caresser son bras, pour ne pas oublier. Ne pas oublier le bleu océan de ses yeux, sa mèche rebelle qui lui cachait le front, sa tâche de naissance dissimulée derrière sa nuque ; tant de petits détails qui la raccrochait à l'illusion d'un frère encore présent, d'un frère encore vivant. Pourtant celui-ci était inanimé, le teint blafard, le regard vide, les joues creuses. État végétatif : voilà ce qui le définissait actuellement ; végétatif car comme tous les végétaux il était dépossédé de vie intellectuelle et n'évoquait que la vie végétale, c'est-à-dire une vie dépourvue d'action.
Elle n'arrivait pas à accepter la situation. Elle avait fini par comprendre et réaliser ce qui était arrivé à son frère mais elle ne s'était jamais habitué à le voir comme ça. D'un autre côté, peut-on s'habituer à l'idée que son frère est désormais un légume ? Peut-on s'habituer à la réalité suivante : celle d'un frère mort.