Meeryn's Tales - Edimas : Tome 1 [TERMINE]

✧ Chapitre 62 ✧

Les jambes tremblantes, Thaalya se laissa glisser contre le garde-corps de la plateforme pour s'y asseoir fébrilement, les yeux écarquillés.

Était-ce réellement fini ? Les gémissements lointains de la créature se faisaient encore entendre dans l'obscurité. Sa vision trouble l'empêchait de s'en convaincre.

Thaalya n'arrivait plus à respirer. Manquait-elle de souffle ou était-il trop rapide ? Elle n'en n'avait pas la moindre idée. Tout ce qu'elle savait, c'était que ses poumons ne parvenaient pas à se remplir comme à l'accoutumée.

De sa hauteur, elle sentait les remous du navire décuplés. Son estomac se balançait de gauche à droite, sans arrêt. Ses pensées étaient embrumées par la peur, l'empêchant de sortir de cette minuscule plateforme dans laquelle elle venait de s'effondrer, épuisée mentalement et physiquement.

— Thaalya ! Thaalya, ça va ? hurla soudainement la voix de son père depuis le pont supérieur.

Elle leva une main tremblante par-dessus la nacelle pour lui faire signe, sans pouvoir prononcer le moindre mot. Son père ne pourrait pas la rejoindre de sitôt. Il fallait s'éloigner au plus vite car d'autres créatures pouvaient surgir à tout moment.

Lorsqu'elle ramena sa main contre le sol de la plateforme, une odeur fétide hérissa les poils de sa nuque. Au même moment, elle sentit un liquide visqueux glisser contre la pulpe de ses doigts. Elle les releva lentement au niveau de son visage, tétanisée. L'odeur nauséabonde venait de là. Avant même que ses yeux ne puissent analyser le liquide sombre, la jeune femme sentit une nausée lui torde l'estomac.

Du sang, encore tiède.

D'un coup, elle fit volte face pour se mettre à genoux, une main sur la gorge. Son cœur battait dans ses tempes, plus fort que les vagues contre la coque du navire. Elle aperçut le liquide visqueux qui recouvrait une bonne partie de la nacelle, brouillé avec des résidus mous de chair humaine. L'odeur fut encore plus écoeurante. Il ne restait que cela de Jo.

En sentant le sang pénétrer le tissu de son pantalon, Thaalya se hissa maladroitement contre le garde corps de la nacelle pour échapper à cette scène macabre, le front suant. Elle crachota quelques remontées acides par-dessus la nacelle, puis se pencha dans le vide pour prendre une bouffée d'air frais, les mains crispées autour de la rambarde.

Elle était trop haute, bien trop haute à son goût.

Se faisant, elle aperçut en contrebas les quatre matelots responsables de Voltige, tétanisés. Ludo, Pat, Fred et Nils ne bougeaient plus. Leur regard était planté sur le ciel obscure, guettant l'arrivée d'une nouvelle créature des abysses. Les lanternes du pont se balançaient toujours au rythme des remous du navire, éclairant par interstice leurs visages effrayés. Rien ne leur disait que l'assaut était terminé.

Thaalya releva à son tour les yeux vers le ciel obscur, le corps engourdi. Ses mains serraient avec fermeté le garde-corps de la plateforme pour ne pas se faire entraîner par le balancement récurrent du mât.

Au-dessus d'eux, brillait de nouveau avec tranquillité l'astre d'Aeth. La lueur blanche de la lune projeta les ombres du navire sur le pont, créant de longues silhouettes se mouvant au rythme des vagues. Mais ce joli tableau ne les arracha pas à leur contemplation.

Aucun matelot n'osa ôter ses yeux de la nuit obscure qui pouvait encore abattre sur eux de terribles rencontres. Les pires atrocités de Lephas parvenaient toujours lorsque le soleil d'Aeth se couchait.

Une, deux, trois, quatre puis cinq minutes s'écoulèrent durant lesquelles les cris d'agonie de la créature s'affaiblirent jusqu'à s'interrompre complètement, quelque part dans l'océan qui les entourait. Les flammes qui l'avaient achevées, elles, persévèrent à la surface de l'eau, sous le regard méfiant des membres de l'équipage.