Chapitre 7

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Ce soir-là , Johnny m'a parlé de la copine new-yorkaise de Gat. Une certaine Raquel. Il l'avait même rencontrée. Johnny vit à New-York , comme Gat , mais dans le bas de Manhattan avec Carrie et Ed , tandis que Gat habite dans le haut de Manhattan avec sa mère. Il m'a expliqué que Raquel faisait de la danse moderne et s'habillait tout en noir.
Le frère de Mirren , Taft , m'a appris que Raquel avait envoyé à Gat un colis contenant des brownies faits maison. Liberty et Bonnie m'ont confié qu'il avait des photos d'elle sur son téléphone.
Gat n'a pas parlé d'elle , mais il avait du mal à croiser mon regard.
Ce premier soir , j'ai pleuré , mordu mes ongles et bu du vin chipé dans la réserve de Clairmont. J'ai tournoyé violemment dans le ciel , folle de rage , j'ai cogné les étoiles pour les décrocher , titubante et le cœur au bord des lèvres.
J'ai tapé du poing contre le mur de la douche. J'ai lavé ma honte et ma colère à l'eau glacée. Puis j'ai grelotté dans mon lit comme le clébard abandonné que j'étais , tremblante comme un sac d'os.
Le lendemain matin , et chacun des jours qui ont suivi , je me suis comportée normalement. J'ai relevé bien haut mon menton carré.
Nous avons fait du bateau et allumé des feux de joie. J'ai gagné le tournoi de tennis.
Nous avons préparé des litres de crème glacée et bronzé au soleil.
Un soir , nous avons pique-niqué tout les quatre sur la petite plage. Palourdes à la vapeur , pommes de terre et épis de maïs au four , le tout préparé par les domestiques. Je ne connaissais même pas leurs prénoms.
Johnny et Mirren ont apporté la nourriture dans de grands plats métalliques. Nous avons mangé autour du feu de camp , le beurre dégoulinait sur le sable. Gat a confectionné des sandwichs à trois étages pour tout le monde. J'ai observé ses mains à la lueur des flammes tandis qu'il embrochait des chamallows sur une tige. Là où on avait autrefois inscrit nos prénoms , il notait désormais les titres des livres qu'il avait envie de lire.
Ce soir-là , sur sa main gauche : L'Être et. Sur la droite : le Néant.
J'avais des graffitis sur les mains , moi aussi. Une citation qui me plaisait particulièrement. À gauche : Carpe. À droite : Diem.
- Vous voulez savoir à quoi je pense ? nous a-t-il demandé.
- Oui , ai-je répondu.
- Non , a dit Johnny.
- Je me demande comment est-il possible d'affirmer que votre grand-père possède cette île. Pas au sens légal. Mais concrètement.
- Pitié , ne recommence pas avec la cruauté des premiers colons , a gémi Johnny.
- Non. Ce que je voudrais savoir , c'est comment peut-on affirmer qu'un endroit appartient à qui que ce soit ?
Tout en prononçant ces mots , Gat a désigné le sable , l'océan, le ciel.
Mirren a haussé les épaules.
- Les gens achètent et revendent des terrains sans arrêt.
- On ne pourrait pas plutôt parler de sexe ou de meurtres ? a lancé Johnny.
Gat l'a ignoré.
- Peut-être la Terre n'appartient-elle à personne. Ou peut-être devrait-il y avoir des limites à ce qu'on peut posséder. (Il s'est penché en avant.) Quand je suis aller en Inde cet hiver comme travailleur bénévole , on a construit des toilettes. Pourquoi ? Parce que les gens de là-bas , dans ce village-là , n'en avaient même pas.
- C'est bon , on sait que t'es allé en Inde , a soupiré Johnny. Tu nous l'as juste raconté quarante-sept fois.
Voilà un trait de caractère que j'adore chez Gat : il a un tel enthousiasme , une telle curiosité inlassable pour le monde qui l'entoure , qu'il a du mal à concevoir que ses histoires puissent ennuyer les gens. Même lorsqu'ils lui disent franchement. L'autre truc , c'est qu'il ne lâche pas facilement son auditoire. Il tient à nous faire réfléchir - même quand on n'en a pas envie.
Il a tendu une brindille vers les flammes.
- Je dis juste qu'on devrait en parler. Tout le monde ne possède pas une île privée. Certains y travaillent. Certains bossent dans des usines. Certains n'ont pas de boulot. D'autres n'ont rien à manger.
- Arrête ça , immédiatement , a ordonné Mirren.
- Arrête ça , éternellement , a renchéri Johnny.
- On a une vision biaisée de l'humanité sur Beechwood , a déclaré Gat. Je crois que vous ne vous en rendez pas compte.
- Tais-toi , lui ai-je lancé. Sinon , plus de chocolat.
Et il a fait silence , mais son visage s'est crispé. Il s'est levé brusquement , a ramassé un caillou sur la plage et l'a jeté au loin de toutes ses forces. Il a enlevé son sweat-shirt et envoyé valser ses chaussures. Puis il est entré dans l'eau en jean.
Et en colère.
J'ai regardé les muscles de ses épaules au clair de lune , les gerbes d'écume jaillissant à chacun de ses pas. Il a plongé brusquement et j'ai pensé : Si je ne le rejoins pas tout de suite , c'est Raquel qui aura gagné. Si je ne le rejoins pas tout de suite , il s'en ira. Loin des Menteurs , loin de cette île , loin de notre famille et loin de moi.
J'ai enlevé mon pull et j'ai suivi Gat dans l'océan , ma robe encore sur le dos. Je me suis jetée dans l'eau et j'ai nagé jusqu'à l'endroit où il faisait la planche. Ses cheveux mouillés , rejetés en arrière , mettaient en valeur la cicatrice de son arcade sourcilière.
Je lui ai pris le bras.
- Gat.
Il a sursauté. S'est remis debout , de l'eau jusqu'à la taille.
- Désolée , ai-je murmuré.
- Je ne t'ai jamais ordonné de te taire , Cady. Je n'ai jamais employé ses mots-là avec toi.
- Je sais.
Il a gardé le silence.
- Ne te tais pas , je t'en prie.
Je sentais son regard posé sur mon corps à travers ma robe mouillée.
- Je parle trop , a-t-il déclaré. Je met de la politique partout.
- J'aime quand tu parles , lui ai-je rétorqué.
Parce que c'était le vérité. Quand je m'arrêtais pour l'écouter , j'aimais ce que j'entendais.
- C'est juste que tout me rend ...(Il a cherché ses mots.) Le monde va de travers , voilà.
- C'est clair.
- Je devrais peut être ... (Il a pris mes mains et les a retournées pour lire ce que j'avais marqué dessus ) ... vivre au jour le jour , carpe diem , et arrêter de m'agiter comme sa.
Ma main était dans la sienne.
J'ai frissonné , ses bras étaient nus , mouillés. On se tenait tout le temps par la main , avant , mais il ne m'avait pas encore touché depuis mon arrivée.
- Tu as raison d'avoir ton regard à toi sur le monde , lui ai-je dis.
Il m'a lâchée et a refait la planche.
- Johnny ne veut plus que je parle. Mirren et toi , vous me trouvez ennuyeux.
J'ai regardé son profil. Il n'était pas seulement Gat. Il était la contemplation et l'enthousiasme. L'ambition et le café noir. Tout ce qui se cachait là , derrière ses yeux bruns , sa peau veloutée , sa lèvre inférieure charnue... C'était de l'énergie pure , prête à jaillir.
- Je vais te confier un secret , lui ai-je chuchoté.
- Lequel ?
J'ai de nouveau posé ma main sur son bras. Il n'a pas bougé.
- Quand on dit "tais-toi Gat" ça ne signifie pas du tout ce que tu crois.
- Ah bon ?
- Non. Ça signifie qu'on t'aime. Que tu nous rappelles à quel point on est tous de sales égoïstes. Que tu n'es pas comme nous , au bon sens du terme.
Il a baissé les yeux. Souri.
- C'est ce que tu penses aussi , Cady ?
- Oui.
J'ai laissé mes doigts courir le long de ses bras en croix à la surface.
- Comment vous faites pour vous baigner là-dedans ?
Johnny s'était aventuré dans l'eau jusqu'aux chevilles , le bas de son jean retroussé.
- C'est l'Arctique. J'ai les orteils gelés !
- Une fois qu'on est dedans , c'est génial ! lui a lancé Gat.
- Sérieux ?
- Te dégonfle pas ! Sois un homme et affronte cette débile de mer !
Johnny a éclaté de rire , et a foncé. Bientôt imité par Mirren.
Et c'était... merveilleux.
La nuit immense au-dessus de nous. Le murmure de l'océan. Le cris des mouettes.

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