L'Effondrement (Par Christophe)

39 4 0
                                    


Je passais le balais tranquillement dans la salle à manger colorée. Tout était prêt pour l'anniversaire; guirlandes colorées, pancartes, nappe pailletée... la totale. J'avais hâte de ce soir ! Léa dans sa petite robe rayée, coiffée avec une tresse africaine et ses lèvres brillantes, sans oublier ses yeux étincelant de mille feux. Et Clara, dans son petit bustier noir accompagné d'un chignon avec quelques mèches rebelles par ci et par là. Ses lèvres pulpeuses rouge pétard et ses petites chaussures à talon. Elles seraient à tomber ! Je m'imaginais notre petite Léa rire aux éclats, dans les bras de sa mère. Mais une sonnerie de plus en plus forte m'arracha à mes rêveries. Une sonnerie plutôt stridente. Je ne saisis pas du premier coup d'où provenait cette alarme, jusqu'à ce que je me rende compte que... c'était bel et bien la sirène des pompiers. Un camion se gara devant ma porte. C'est là que je fis une drôle de tête... Le véhicule rouge flambant neuf s'arrêta à l'entrée. Une portière s'ouvrit, et je vis ma petite Léa affichant une tête d'enterrement... accompagnée de trois pompiers. Je tournai deux fois en rond avant de prendre mon courage à deux mains pour ouvrir cette fichue porte où trois hommes baraqués avec le casque et la panoplie, porteur de mauvaises nouvelles m'attendaient.
Il fallait que je le fasse... Comment réagir quand des pompiers se pointent à votre porte à l'improviste? Je m'imaginais subitement le pire... Et j'avais raison.

J'ouvris alors cette fichue porte, qui était un mur entre ma vie heureuse, sans imperfections, sans savoir qu'en une fraction de seconde, toute ma vie – que j'avais tant bien que mal essayé de construire au fil des années – serait périclité; j'allais subir un effondrement ayant l'effet d'une tornade soudaine, le beau temps laissant subitement place au tonnerre grondant, un soleil avec un temps magnifique en arrière plan laissant subitement place au ciel sombre oppressant et envahissant. J'ouvris la porte, sans savoir qu'à la seconde qui suivit, toute ma vie entière serait sans doute détruite, réduite à néant, envolée dans la poussière.

"J'ai passé ma vie à construire. J'ai fait des erreurs de parcours, je l'admets, mais quand ma construction se casse, je ne construis plus de cette manière, mais d'une autre façon, plus sûre. Mais plus j'avance, plus je construis. Je fais des rencontres inoubliables, d'autres ne sont que de passage, alors ma construction se casse un peu, je répare la blessure. Il y a trois buts dans ma construction - ma vie - : Recevoir, Encaisser et Avancer. Voilà les buts. Mais Clara et Léa sont la base de ma construction, désormais; une moindre fissure, des pièces en moins et tout s'écroule. Ce que l'on appelle un effondrement. "

Les trois hommes se tenaient sur le seuil, donc un tenait la main de la petite Léa, encore trop fragile, si jeune... Le premier -le chef je suppose - s'avança d'un pas et déclara d'un voix rauque:
- Nous sommes désolés pour vous, monsieur, ainsi pour votre chère petite fille... Mes condoléances.

Quoi? Qu'est-ce que cela signifiait ? J'avalais difficilement ma salive. Cela voulais dire que... je n'osais même pas y penser. J'eus une sensation de vide. Les sons provenant de l'extérieur n'eurent plus aucun sens. Je vis alors toute ma vie entière défiler et en quelques secondes. Puis, plus rien, le vide. J'allais m'évanouir. Je me retiens au mur et manquai de tomber. J'essayai de recouvrir mes esprits, ma conscience. J'allais me chercher une chaise, et leur lançai:
- Entrez, je vous prie.
Ils s'exécutèrent. Je leur proposai alors de s'asseoir, mais voyant mon trouble, s'enquirent plutôt de mon état. Le deuxième, tenant toujours ma petite Léa, était grand et musclé, ses cheveux de bronze bouclés reflétaient le soleil transperçant la baie vitré. Il me lança:
- Asseyez-vous, monsieur.

J'avais du mal à articuler, mais continuai tant bien que mal:
- Je...
- Nous sommes désolés, monsieur, nous n'avons rien pu faire. se désola l'homme aux cheveux de bronze.

Puis, tout à coup, une voix aiguë pleine de tristesse et de haine nous firent sursauter:
- C'est pas vrai ! Vous aurez pu la sauver ! Menteurs ! Vous avez mal agi !
C'est Léa qui sanglota.
Venant d'elle... cela me fit un choc.
- Les pompiers ont fait leur possible, ma chérie.
Elle sanglota de plus belle et vint se réfugier dans mes bras. Les trois hommes s'éclipsèrent. Après de longues minutes interminables, nous nous assîmes sur le grand canapé en cuir noir, assez confortable. Nous restâmes silencieux durant de longues heures. Un vide indescriptible et infini. Je brisais alors le silence:
- Léa, ma chérie. Tu veux toujours faire ton anniversaire ?
- Oui. Maman aurait aimé qu'on s'amuse. Alors on s'amusera mais on fera une minute de silence pour elle.
- C'est bien ma chérie.
- Je vais me préparer. Tu me fera la tresse?
- Oui ma puce. Je vais me préparer aussi. Allez, monte.
Elle s'exécuta et je montai machinalement les marches. Je pris ma tenue déjà préparée par Clara et l'enfilai. Je me mis un peu de parfum, mis mes chaussures et me coiffa. Le cœur n'était pas à la fête, mais il fallait que je le fasse quand même. Pour ma fille. Pour ma femme.





Sombre rêveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant