Chapitre 3~

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TaeHyung était rentré tard de son expédition. Mais personne n'était là pour le disputer. Personne n'avait jamais été là. Du moins, personne qui se souciait de l'heure. Le vieux chien alla se coucher sur une couverture poussiéreuse au fond du hangar. Tous les autres arrivèrent. Il y avait toute sorte de canidés. La grande majorité était âgée, mais il y avait aussi des chiots.
Ils regardèrent TaeHyung d'un œil exprimant leur gratitude. Leurs regards étaient ce qui permettait à TaeHyung de les comprendre. Même s'il avait apprit à reconnaître les réflexes canins et lire leur gestuelle communicative, les yeux de ces animaux était ce qui trahissait leurs émotions. Ces chiens ne pouvaient pas jouer à être hypocrite. Ou ne le voulaient-ils pas ? Qui sait ? D'ailleurs TaeHyung s'en fichait, il ne savait pas mentir non plus.

C'était une des rares fois qu'un dîner allait être mit en commun. Majoritairement, c'était à chacun de trouver sa propre nourriture.
Il n'y avait aucun ordre de passage pour se servir. Ils avaient tous faim. Ceux à qui il restait une vague force faisaient en sorte de pouvoir en profiter. C'était le moyen pour avoir plus de chances de survivre.
Les premiers étaient les plus téméraires. Ils prenaient discrètement un morceau d'une des précieuses denrées. Ils ne se chargaient pas lourdement. Puis ils partaient en galopant, la bouchée serrée entre leurs crocs. Ils allaient la manger plus loin. Ils préféraient fuir l'adversité que d'avoir à s'épuiser dans un combat qui ne serait pas justifiable pour un grignotage.

TaeHyung prit une pomme. Elle était rouge et luisante. Il pouvait presque y voir son reflet. Une pomme parfaite, exactement comme celles qu'on trouve sur les étalages des supermarchés.
Mais TaeHyung la regardait avec peu d'envie. Car bien que son éclat fut très attirant, elle ne sentait pas grand chose. Elle avait due être désinfectée de pesticides, arrosée de conservateurs et badigeonnée de cire. Et TaeHyung craignait les matières sans odeur.
Seulement, il n'avait pas le temps de s'en préoccuper. A son stade d'anémie, on se fiche de manger avec ou sans saveur. Son cœur pompait sans cesse ce même sang carencé, il en devenait fatigué. Son instinct mit fin à son indécision. TaeHyung croqua bruyamment dans le fruit. L'écho résonna jusqu'à l'autre bout du bâtiment tant le silence avait prit possession des lieux. Cette première ration était acide, et peu sucrée. Il mangea lentement, pas tout à fait emballé. En finissant le fruit, il se sentit rassasié. Son corps ne pouvait pas être alimenté abondamment.

La nuit était bien avancée lorsqu'il décida de sortir à nouveau. TaeHyung dormait peu. Son esprit le faisait. Alors son organisme pouvait continuer de se mouvoir pour lui. Pour qu'il ne le quitte pas définitivement. Il était endurant. Il regarda derrière lui avant de passer par la trappe qui rendait possible le passage vers l'extérieur. Tous les chiens avaient eu droit à un peu de contenu du panier. C'était la première fois que TaeHyung les voyait tous endormis, blottis les uns contre les autres. Une harmonie reposante régnait sous le toit du hangar. Il les aurait bien rejoint, ma sa pensée était ailleurs. Et elle l'étouffait. Il passa par la petite porte et prit une grande bouffée d'air. Il faisait très froid. Le chien le plus âgé, le berger, s'empressa de le suivre. TaeHyung mit les mains dans ses poches en frissonnant. Il tendit les bras le long de son corps et commença à marcher. De légers flocons s'enfuyaient avec le vent. TaeHyung leva un instant la tête pour les suivre des yeux. C'était la première neige de l'année.

La lumière de la ville teintait le ciel d'une couleur rougeâtre. Et les nuages flottaient comme des ombres épaisses. Ces masses pétrifiées arrêtaient le temps.
Comme s'il faisait partie d'un autre monde, le jeune homme traînait ses pieds empourprés d'engelures sur le béton. Il était curieux. Il arpentait les rues de cette nouvelle cité, dans le même pas que celui de son compagnon. Cela faisait très peu de temps que la petite troupe s'était installée dans l'entrepôt isolé qu'ils avaient trouvé par chance.

Il n'y avait personne d'autre à cette heure-ci. TaeHyung ne comprenait pas pourquoi si peu de gens sortaient les nuits d'hiver. Le temps était glacial, mais cela rendait les ruelles plus jolies. La ville était figée dans un état de somnolence. Quelques fenêtres laissaient s'échapper un flamboiement artificiel, qui sous-entendait que la vie y régnait encore. TaeHyung s'arrêtait de temps à autre. Pour s'intéresser à un objet qui sortait de son ordinaire, ou pour décoller ses pieds du sol un instant, afin d'y retirer le gel qui s'y cristallisait. Il s'échappait de son quotidien en découvrant les environnements variés que lui offrait son mode de vie.

En continuant de marcher, TaeHyung pensait s'apaiser. C'est de cette façon qu'il procédait d'habitude.
Mais au fur et à mesure qu'il avançait, la pensée qui l'asphyxiait plus tôt lui revenait en tête.
Il essaya de se débarrasser de cette image, mais elle le hantait. Un corbeau délicat entreprenait un ballet qui lui donnait le tournis. Son apparence si légère le faisait voler, lui faisant atteindre aisément le cœur de TaeHyung. Il sentit un pincement. Le regard du félin le plus obscure l'obsédait. Dans son monde monochrome s'éternisait cette couleur qui l'ensorcelait.

Il revint à la réalité en discernant une silhouette qui semblait être le seul objet vivant à des kilomètres à la ronde. Taehyung se ressaisit en s'intéressant au fond de l'avenue. Il se paralysa. Drôle de hasard, une impression familière le frôla et l'empêcha d'entreprendre quelque mouvement de fuite. Il avait le regard posé sur le sol, partagé entre effroi et envie. Ne pas avoir la force de regarder l'irritait. Ses pupilles allaient de gauche à droite, ne sachant que faire à cause de cet émoi paradoxal.

Plus cet amas sombre se rapprochait, plus son sang filait rapidement dans ses veines. Le temps qui était inexistant durant les nuits habituelles était désormais palpable. Et il passait lentement, très lentement. Les longues minutes où TaeHyung sentait que l'ombre se rapprochait le rendait anxieux. Son ventre se nouait encore une fois. Son front devenait brillant. On percevait son torse se soulever sous son pull d'une manière saccadée. Il avait sorti les mains moites de ses poches et les frottait nerveusement. Puis comme s'il avait besoin d'un soutien, il en passa une dans la fourrure rêche du chien.
Il releva lentement la tête, s'apprêtant à dévisager ce qui allait bientôt être à portée de vue. Un dernier geste allait lui permettre de découvrir si ce n'était pas que son imagination.

Et maintenant, il était là, réalisant qu'il avait instinctivement marché vers la boutique qu'il avait trouvé plus tôt dans la journée, le chien s'appuyant à ses côtés.

Avec les Chiens Errants [VKook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant