Chapitre 10 : Mardi 30 Juin 2506

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J'agonise.

Le rythme infernal de la vie me rattrape, me dépasse et je sombre dans l'imposture. Mon visage froid et inexpressible semble se frayer son chemin à travers des rêves et des fantasmes impossibles pour me ramener à la dure réalité qu'est la vie avant ma mort certaine. Tout n'est que l'image d'une spirale noire au milieu de laquelle se trouve le gouffre de la souffrance, chaque pas est plus douloureux que le précédent. Chaque souffle, chaque respiration est une corvée qui m'oblige à vivre l'enfer auquel je n'aspire pas. Mon vampire est une particule de lumière inespérée qui a disparu dans les tourments de la nuit. Il s'est éloigné de moi, emportant le peu de chaleur qui avait envahi progressivement mon coeur pour s'engouffrer dans mon âme. Je ne vis plus même si je n'ai jamais vécu, je survis, ce n'était qu'un répit, un sursis, ces moments qu'il m'accordait n'étaient que des mirages, des rêves. Tout rêve a une fin, rien est éternel à part la douleur d'être vivante.

Un soupir et je continue d'avancer, je n'ai pas d'autres choix, je ne suis pas capable d'abandonner ma médiocre vie, c'est encore une possibilité non envisageable. Une volonté incontrôlable m'oblige à continuer de vivre, à ne pas abandonner. Pas tout de suite. Ma poitrine est grande ouverte, mon coeur exposé à la vanité et l'inutilité de l'homme. Comment rendre quelque chose plus inutile qu'il ne l'est déjà ? En le détruisant. C'est envisageable de ne pas comprendre cette théorie, je la trouve néanmoins véridique.

Prenons pour illustrer ce propos un vélo cassé, une roue en moins, rangé depuis cinq ans dans un sous sol rempli de choses inutiles, caché par des bâches, entouré de poussière et entreposé dans l'oubli. Jamais son propriétaire ne l'a ressorti de son reposoir depuis l'instant où il a perdu une pièce, vous comprenez qu'il est sans fonction depuis un assez long moment. Jusqu'à une éventuelle réparation, il le restera. Mais il n'est pas définitivement inutile, il lui reste encore une mince chance de vivre encore des histoires avec son propriétaire, ou un autre après avoir été revendu, mais seulement si son possesseur décide de le réparer. Mais si celui-ci considère au contraire que le vélo n'a plus aucun intérêt à rester à cette endroit, et qu'il prend la décision de le casser encore plus en l'envoyant à la décharge, plus jamais il ne reservira. Pour sûr, plus jamais. Voilà la seule manière de rendre quelque chose inutile encore plus inutile.

J'aimerais détruire ce besoin de survivre, la vie est un fardeau, j'ai envi de le faire disparaître, à jamais. Suis-je condamnée à vouloir toujours souffrir ? Un sentiment de torture éternelle s'engouffre dans les fonds de mes entrailles, perce mes organes et détruit la source de mon sang. Tout mon corps est un champ de bataille en ruine, mes os se brisent d'ennui, et ma chair brûle de malheur car la vie est une tragédie éternelle. Elle se répète sans fin et m'emprisonne dans ses tourments, me retenant à jamais dans des abîmes profondes et sombres dont je n'arrive plus à ressortir. Je suis dans une répétition de cycles de vingt quatre heures, dans un quotidien qui piège les âmes dans des griffes trop fortes pour espérer y réchapper un jour.

J'y suis retournée, dans mon arbre, mais sans aller aux cours, ils n'ont plus d'importance puisque j'ai passé mes évaluations de fin d'année et je n'ai aujourd'hui plus qu'à attendre mes résultats. Peut-être que si je retourne au lycée, c'est que j'ai encore un peu d'espoir, celui de le revoir, peut être... J'imagine que je suis naïve, si des personnes me connaissaient, c'est sûrement ce qu'ils penseraient. Je ne suis absolument rien, absolument personne, juste une poche de sang parmi d'autres, juste une fille banale sans un strict intérêt pour mon vampire.

Il disait possiblement vrai, peut-être qu'en effet, il trouvait réellement quelque chose qui l'intéressait chez moi. Mais je l'ai jeté, que puis-je encore espérer ? Je suis ce vélo brisé et inutile. Il a tenté de me réparer, seulement il m'a juste abandonnée à nouveau, encore plus anéantie qu'avant. Je suis désormais irréparable, je n'avais déjà pas d'utilité, je n'ai plus aucun espoir d'en avoir une un jour. Je me répète cette idée afin de me l'avouer, afin que je l'accepte. Il le faut. Je me cache cette constatation évidente et naturelle, c'est un fait, je suis l'exemple même de l'infériorité face aux vampires, face à mon vampire.

Si Je N'étais Pas Née, Je Ne Serais Pas MorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant