Chapitre 1 : sacré temps

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-Tu as vu l'heure ? me demande ma mère inquiète adossée contre le mur bleu de notre couloir. Tu vas finir par me tuer ! Il fait noir, c'est dangereux ! Combien de fois je dois te le répéter ?!

Cette fois elle est vraiment énervée alors je la laisse parler.

- Regarde un peu autour de toi bon sang ! Toutes les filles de ton âge sont déjà aux études ! Et toi que fais-tu de ta vie hein ? À part dessiner des plantes et des routes dans ton terrain vague ?

Et là c'est reparti pour un tour. Elle ne me laisse même plus me justifier et à dire vrai je n'en ai pas la force. Tout y passe : les heures tardives auxquelles je rentre, mes études d'archéologie abandonnées etc. J'aurais pourtant voulu lui expliquer, lui raconter ce qui s'était en réalité passé l'année dernière lorsque mes points ont lamentablement chuté à cause de mon prof d'histoire qui m'harcelait. Cependant, elle continue à s'acharner sur tous mes défauts. Je ne l'écoute même plus à force. Ça fait trop longtemps qu'elle ne me comprend pas. Les seuls qui me comprennent ou du moins me laissent tranquille sont les potes de ma bande. Je suis encore allée les voir d'ailleurs, Mat et compagnie au terrain vague. Il a plu toute la journée et j'étais littéralement frigorifiée et trempée jusqu'aux os mais ma mère ne semble pas le remarquer et me barre toujours le passage.

-Maman j' ai froid, dis-je en la coupant en plein milieu d'une phrase et en défiant des yeux son visage abasourdi, d'un ton qui se veut ferme mais qui trahit ma mauvaise humeur. L'expression sur mon visage, bien plus que les paroles, lui clouent le bec alors qu'elle est en plein monologue philosophique sur les ados d'aujourd'hui.

-Au cas où tu ne le verrais pas il pleut dehors, j'insiste.

Elle a toujours cette fâcheuse habitude de d'abord sortir tout ce qu'elle a préparé comme paroles éducatives à mon égard avant de me regarder en face et de capituler. Elle n'a jamais su comment s'y prendre avec moi et les petites vieilles du coin la plaignent souvent. Je les entends encore dire derrière mon dos à quel point je suis un fardeau pour ma mère et à quel point c'est difficile d'élever sa fille seule. Enfin, fille n'est pas vraiment le mot approprié. Si je devais me décrire, je dirais plutôt être-humain-de-sexe-féminin-mais-d'esprit-masculin. Car tout dans ma manière d'être confirme que dans ce corps de jeune fille de 19 ans vit un mec ou en tout cas une fille bien masculine, fille qui n'a que des potes garçons qui la prennent pour une des leurs depuis longtemps. À ce moment, je ne me doute pas encore que seulement quelques semaines plus tard cela changera.

-Bonne nuit, dis-je en la contournant et en montant les marches.
Sans attendre de réponse, je file dans ma chambre. Je me déshabille et enfile rapidement des vêtements bien chauds. Cela fait du bien Sacré-con-de-dieu! Je vais à la salle de bains et me dandine un peu sur place en brossant mes dents parce que le carrelage est froid. Pendant tout ce temps j'entends des bruits étouffés de sanglots. Merde je fais encore chialer ma maman. Désolée de ne pas être la fille que tu voulais. Sincèrement.

En retournant dans ma chambre j'ai soudain une grosse boule dans mon ventre sans que j'en comprenne la raison. Je regarde autour de moi, cette table que les vêtements ont envahi depuis longtemps, ce tapis mis de travers et ces rideaux de couleur rose criard que j'avais mis pour faire plaisir à Mamy-chou (mère de ma mère que j'adore). Tout est en ordre (enfin pas vraiment mais soit) et je me sens ridicule. Arrête ça grosse, tu deviens parano, me dis-je. Alors, je me dirige vers mon lit après cette journée fatigante. Mais je ne suis pas du tout au bout de mes surprises!

Eh oui, sur mon lit, une enveloppe m'attend.

"Chère Xenia.
Votre mère est en danger..."

Ses larmes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant