Chapitre 4: misérable petite égoiste

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Je dois vous avouer que malgré toutes ces années sans mon père qui nous avait abandonnées alors que ma maman venait d'accoucher, toutes ces fois où, en entendant ma mère encore pleurer seule dans la cuisine je me mettais à le détester encore et toujours plus, il me reste encore quelque chose qui me lie à lui à part le sang dans mes veines. En effet, il m'a transmis cette passion pour la nature, surtout des plantes que j'aime tant dessiner lors de mes heures perdues. Fleurs, arbres, divers végétaux. Objets quelconques allant de la bouteille écrasée à la jolie voiture rouge garée en face du terrain vague. Plus rien n'a de secret pour ma main qui dessine comme guidée par un étrange pouvoir, pouvoir qui me liera désormais toute ma vie à cet homme.

Ainsi, on n'échappe pas à sa génétique: mon père et son talent de dessinateur, ma mère et sa gentillesse dégoulinante (dont j'ai malheureusement hérité même si elle prétend le contraire). Alors, même si ces dernières années je me suis éloignée d'elle, nous auront toujours deux choses en commun: la haine pour mon père et notre affreuse gentillesse!

Je sors de mes pensées lorsque j'entends ma mère crier "à tout-à-l'heure !", avec une voix enrouée qui m'alarme tout de suite, en fermant la porte d'entrée. J'essaie de mettre cette voix étrange et ses yeux un peu humides de ces derniers jours sur le compte de la fatigue et me remémore rapidement mon objectif du jour: trouver des indices, en commençant par la chambre, l'antre secret de cette femme dont le passé m'échappe. J'entends au loin une voiture qui démarre et son vrombissement familier. La voie est libre! Je descends furtivement comme je vois souvent dans les films et décide maintenant de redoubler d'efforts et de commencer mon enquête. Direction: chambre de maman au premier étage.

Pouvait-elle avoir gardé une photo de son amour déchu ? Je regarde dans l'armoire et retrouve ma jolie blouse rouge que je cherchais partout. Je souris en la récupérant et en marmonnant des vagues gros mots adressés à ma mère. Je me dis alors que c'est la seule blouse qu'elle m'ait jamais chipée parce qu' elle est un peu plus féminine que le reste de mes vêtements. Le tiroir suivant contient toutes sortes de bibelots les uns plus vieux que les autres. Il y a ici des souvenirs de ses nombreux voyages en Russie: des marionnettes aux têtes soigneusement enveloppées dans des journaux, dont l'alphabet cyrillique m'est encore vaguement familier (vu les quelques cours que ma mère m'a imposés durant mon adolescence), des bijoux scintillants restés trop longtemps dans l'ombre (parce qu'elle n'a tout simplement plus d'occasions spéciales pour les mettre) et des vieux rouges à lèvres restés là un peu par hasard (étant donné leur valeur sentimentale puisqu'ils sont témoins d'une époque révolue où la belle jeune femme qu'elle était sortait avec des copines au cinéma ou au théâtre).

J'ai comme l'impression que mon fouinage ne sert à rien. Cette chambre a subi un lavage intégral lors de l'opération oublier-ce-gros-connard. Je continue cependant mes recherches en-dessous de son grand lit à deux personnes où elle a toujours dormi seule depuis que je suis dans sa vie. Ou avec moi lorsque, petite, je faisais semblant d'avoir fait un cauchemar pour pouvoir me blottir tout contre son coeur de maman.

À ce souvenir mon coeur se serre et je me demande soudain ce qui avait pu nous arriver pour nous faire autant éloigner l'une de l'autre. Quand est-ce qu'au lieu de me faire rire avec ses grandes paroles tout droit sorties des livres d'éducation, elle commença à m' irriter ? Alors, je repense à l'année dernière où tout a basculé. Je repense à ma détresse et à ma solitude dans laquelle elle m'avait laissée tout simplement parce que "j'avais grandi". Tout en fouillant son énorme armoire qui longe tout le mur de la chambre, je me remets en question: n'ai-je pas moi-même détruit consciemment ma relation avec le seul être qui compte dans ce monde à coups de phrases rebelles à deux balles?

Il y a une semaine j'aurais dit que c'était elle qui ne m'écoutait plus.
Il y a une semaine j'aurais dit qu'elle s'en foutait de moi tout simplement.

Mais il y a une semaine, je n'aurais pas vu cette tristesse imperceptible dans son regard.

Et surtout, je n'avais pas encore reçu cette satanée lettre !

Et, si je n'avais pas été aussi peste ces derniers temps, j aurais vu que me mère allait mal. J'aurais peut-être même su de qui venait la lettre.

Mais non, il a fallu que je fasse ma rebelle, que je lui montre que j'étais une grande fille...

Je ne suis qu'une misérable petite égoïste.

Ses larmes de pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant