Trop contente de s'être fait une amie, Nahoma ne quittait plus la marchande. Elles entretenaient, à elles deux, le flot incessant d'une discussion à bâton rompu que seul un groupe d'enfants affamés parvint à interrompre. Piaillant et bruyants, ils encerclèrent Trille de leur attention pressante et de leur « on a faim, on a faim » scandé comme un chant de révolutionnaires en culotte courte. A peine avaient-ils leur repas en main que le calme revenait et que l'échange pouvait reprendre là où il s'était arrêtée quelques instants plus tôt. Seul un événement de taille pouvait mettre fin à l'échange.
- ça y est, c'était mon dernier sandwich... Soupira Trille, l'air lugubre.
Elle se tourna vers les quais dans l'espoir d'en voir émerger, comme par magie, l'approvisionnement en viande tant attendu. Le matin même, les éleveurs avaient convenu que trois bêtes seraient affectées à la Gran'place et il n'y avait aucune raison pour que leurs plans aient changé durant la journée. Cet imprévu avait de quoi laisser perplexe. En soutien, Nahoma fit une mine catastrophée.
- Je ne comprends pas ce qui a pu se passer... S'inquiéta la marchande, ce n'était jamais arrivé avant aujourd'hui. Tu m'attendrais le temps que j'aille voir ce qu'il se trame du coté des musclés?
A cette requête, Nahoma répondit à la façon si particulière des nomades en n'en faisant qu'à sa tête:
- Je t'accompagne, dit-elle, pleine d'entrain.
Les musclés en question, dockers de profession, se tenaient aux bords des quais à ne rien faire pour la plus part. Trille accompagnée de Nahoma se dirigea dans leur direction avec la nette intention d'obtenir des explications sur l'absence d'approvisionnement. Seul l'un d'eux était occupé à échanger des mots avec un homme blond d'un cinquantaine d'années venu récupérer sa marchandise. Tous deux désignaient tour à tour l'aqueduc où, fait suffisamment rare pour être noté, aucune caisse ne transitait.
- Mais puisque j'vous dis qu'on a rien reçu depuis une heure ! J'vais pas l'inventer votre colis quand même, se défendait l'employé des quais.
Quand Trille et Naomah arrivèrent sur place, l'échange se poursuivait et les mots devenaient blessants. Les dockers se tenaient derrière leur collègue pour assurer un soutien psychologique de rigueur.
- Il est hors de question que j'attende plus longtemps! Ma marchandise est précieuse et mes clients n'ont pas de temps à perdre.
- Qu'est-ce que vous n'avez pas compris exactement ? Les portes sont fermées, y a rien qui passe et rien qu'on puisse y changer !
- Vous avez pas l'droit d'faire ça, vous nous empêchez de travailler !
- Si t'as quelque chose à y redire, c'est aux Marcheurs de vent que t'en réfères, pas à moi!
Voyant que ça ne menait nulle part et qu'il avait cinq gaillards tous plus costauds les uns que les autres contre lui, le grand blond s'en alla vider sa frustration ailleurs. La colère qu'il avait laissé derrière lui crépita quelques secondes dans les airs avant de retomber. Même quand on ne s'en prenait pas aux nomades, Nahoma n'appréciait pas de voir des personnes s'affronter. L'air désemparée, elle regardait les dockers discuter de l'incident et répéter que ce n'était quand même pas leur faute si rien n'arrivait par l'aqueduc. Ils lui donnaient l'impression de tourner en boucle, mécanique cassée sans objectif à atteindre. En bonne bricoleuse, elle chercha comment les aider sans y arriver.
- Tant qu'on saura pas c'qui s'passe, y en a qui s'mettrons les nerfs en boule, lui glissa Trille à l'oreille. T'peux rien y changer.
Tandis que sa voisine haussait les épaules dans un mouvement défaitiste, Naomah eut une idée soudaine et se tourna vers l'amphithéâtre, au loin. Elle resta comme ça dix bonnes secondes, la bouche ouverte à la façon d'un poisson hors de l'eau. Dans sa tête, c'était tout plein d'engrenages qui tournaient et des marteaux qui cognaient dans tous les sens. Tout, elle comprenait tout !
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Nomade
FantasyAprès 17 ans sur les routes, Nahoma découvre la ville pour la première fois. Son insertion se déroule en douceur quand les événements se précipitent soudainement. Une menace serait aux portes de la cité mais les Marcheurs de vent, comme à leur hab...