1. Gaby le magnifique

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« Quel film de merde ! »

Kilian n'était pas cinéphile. Être trainé de force par Aaron dans les salles obscures en ce doux mois d'avril pour visionner un chef-d'œuvre qui ne l'était pas moins et qui datait des années soixante-dix, ce n'était pas une sinécure. Mais fatalement, il se laissait faire. Après tout, ce n'était pas pour les images qui défilaient sur l'écran qu'il acceptait ce genre de rendez-vous. C'était juste pour être avec son petit ami, ce qui le comblait de joie. Et l'avantage du cinéma, surtout, c'était que le manque de lumière apportait de la discrétion, ce qui autorisait bien des choses. Kilian ne savait même plus quel était le thème du film qu'il venait de voir. Il avait passé trop de temps la tête sur l'épaule de son amoureux pour s'en souvenir. Il s'intéressait bien plus aux papouilles qu'il pouvait faire à son cher Aaron, main dans la main, quand la sienne ne se baladait pas ailleurs. Pour le jeune brun, admirer une merveille du septième art tout en subissant les bisous, caresses et autres petits plaisirs discrets dont le gratifiait son blondi-niais était une expérience déroutante, mais particulièrement sucrée et agréable. Il ne pouvait même pas en vouloir à Kilian de ne pas s'intéresser aux images qui défilaient, même s'il aurait bien voulu que son camarade soit un peu plus ouvert d'esprit et un poil moins coquin et gourmand. C'est sûr qu'avec un film d'auteur japonais du siècle dernier, il avait peut-être mis la barre un peu haute. Son amoureux était plutôt du genre blockbuster, comme presque tous les jeunes de son âge.

« Arrête ! Le Japon, ce n'est pas que les mangas et les jeux vidéo ! Rha ! T'es chiant Kil', la prochaine fois, je t'emmènerai voir un truc bien hollywoodien, ou alors le dernier film de Pokémon ou de One Piece, ça serait pt'être plus à ton niveau, non ? »

La petite pique n'était pas très gentille. Certes, le jeune adolescent aux yeux verts n'avait pas la culture de son camarade, mais il était loin d'être stupide. Même si c'était pour rire, se faire ainsi rabaisser n'était pas forcément très plaisant, même quand c'était par l'élu de son cœur. En boudant un petit peu, il répondit avec sa répartie légendaire :

« T'es bête, je suis pas fan des Pokémons, déjà que je dois déjà en supporter un comme petit ami depuis que je l'ai attrapé à Noël, hein, pik'aachou ? Et puis je m'en fiche du film. Même, moins j'le comprends, mieux c'est, ça me laisse plus de temps pour te faire des bisous partout où je veux, alors que si j'étais à fond dedans, je ne profiterais même pas de toi ! »

Aaron s'esclaffa. Beaucoup de filles au collège lui avaient demandé pourquoi il avait ainsi jeté son dévolu sur le blondinet de service. Le jeune brun avait tellement lutté pour montrer qu'il n'était pas superficiel que l'excuse du physique et de la beauté naturelle de son amoureux ne pouvait pas tenir. Et de toute manière, l'aspect extérieur de Kilian était loin d'être la principale raison de son amour pour lui. Même si le bel adolescent était, il était vrai, magnifique, c'était sa personnalité, sa douceur, sa gentillesse, sa curiosité et surtout son humour ravageur qui avaient fini de convaincre Aaron qu'il n'était pas tombé sous le charme pour rien. Alors, en guise de réponse et en plein milieu de la rue, il attrapa son camarade fermement par la nuque, le plaqua contre un mur et plongea ses yeux dans le regard et ses lèvres dans la bouche de celui qui faisait battre son cœur. Plus les baisers étaient imprévus, presque volés, plus Kilian les appréciait. Et tant pis pour les vieilles dames choquées qui passaient là et qui s'offusquaient d'une telle démonstration immorale d'affection en couvrant de leurs mains ridées les pupilles de leurs petits-enfants bien plus intrigués qu'horrifiés. Les deux collégiens s'en foutaient. Ils étaient libres. Même s'ils n'avaient que quatorze ans, presque quinze, rien n'aurait pu les empêcher de s'aimer. Leur étreinte dura de longues secondes, pendant lesquels Aaron s'amusa à passer ses mains sous le t-shirt de son lionceau. Caressant tour à tour son torse puis son dos, il donnait un peu plus de piquant à cette embrassade et s'amusait à l'idée que cela puisse choquer encore plus certains passants. Kilian, lui, se laissait amoureusement faire. Loin le temps où Aaron l'avait embrassé pour la première fois et où il s'était senti agressé au point de se mettre à pleurer. Si des larmes avaient dû couler, elles auraient été de bonheur et de rien d'autre.

Les chroniques du mois de maiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant