Kendra Léodor se réveilla en hurlant. Et elle hurla pendant longtemps. Aussi longtemps que nécessaire pour que le chagrin qui lui dévorait les entrailles s'apaise. Un peu.
Les mains moites de sueur, elle se força à décrisper ses doigts et à lâcher le drap. Redressée sur son lit, elle regarda autour d'elle. Sa chambre de fonction était éclairée d'un faible halo de lumière, provenant de l'unique fenêtre de la pièce, située au-dessus de sa tête. Cette pièce, dont les murs en bois étaient sobrement décorés, était son sanctuaire.
Ici seulement, elle pouvait exprimer ses sentiments. Ici seulement, elle pouvait souffler, ne rien faire, s'ennuyer. Ici enfin, elle pouvait hurler.
Les doigts encore engourdis, l'aînée des Léodor descendit de son lit. Elle retira rapidemment sa chemise de lin et son bandage de poitrine, avant de se diriger vers la douche. Elle régla la température au minimum.
Un torrent glacé s'abbatit sur ses épaules. Elle ne frissonna pas, tremblante de sueur à cause de son cauchemar.
Des images par flashs lui revinrent en mémoire. Le moment où elle avait réussi à rattraper Bran. Le moment où ils s'étaient affrontés. Le moment où il avait perdu l'esprit. Le moment où elle avait hésité.
Le moment où elle l'avait tué.
La jeune femme se remit à trembler. Ses spasmes devenaient de plus en plus violents et elle ne parvenait plus à les contrôler. Ses jambes la lâchèrent et elle tomba à genoux contre le sol en pierre.
Le sang coula. Elle ne ressentit aucune douleur, trop obsédée par les dernières paroles de Bran et la vision de la tâche sanguinolente s'agrandissant sur son abdomen, causée par Taguaris.
Elle secoua la tête et commença à haleter. Un étau de fer encerclait sa gorge, l'empêchant de reprendre sa respiration. Sa vision se troubla et un goût métallique remplit sa bouche.
Kendra ne cessait de se repasser la scène dans sa tête et frappa violemment le mur en face d'elle avec rage et désespoir.
Finalement, elle attrappa ses jambes et les ramena contre son buste, en s'allongeant sur la pierre froide. Elle ne sut combien de temps elle resta ainsi. Une minute, une heure, un jour peut-être.
Et soudain, on tambourina à sa porte.
- C'est pas bientôt fini ce bouquant Léodor ? J'aimerais pouvoir me préparer en paix et si possible, prendre une douche digne de ce nom avant que Sa Majesté ait épuisé toute l'eau !
On entendit un soufflement rageur et les pas s'éloignèrent petit à petit.
Les mots d'Aredian Vaal -car c'était lui-, le commandant en chef de la dix-huitième Garde de la Cité et le compagnon d'arme de Kendra, sortirent cette dernière de sa crise. Se redressant doucement, encore tremblante, elle coupa l'arrivée d'eau. Le silence reprit place dans la chambre.
Kendra tendit la main et attrappa une serviette à sa gauche. Elle sortit de la douche et nouant la serviette autour de son corps partiellement ensanglanté, elle se rendit à la fenêtre qu'elle ouvrit d'un coup. Le soleil l'aveugla quelques instants, elle cligna des paupières pour s'habituer à sa lumière.
Elle avait vue sur les remparts de la Cité et l'aube semblait s'étirer à l'horizon, portant sur Ville Basse sa chaleur matinale et rassurante. Des commerçants s'affairaient déjà, conscients que la journée allait être bien chargée et les poissoniers installaient leurs étalages. Quelques lavandières se dirigeaient gaiement vers la fontaine la plus proche, leur linge à la main. La cloche de Mintis, dieu du jour, sonna pour la première fois et les premiers passants se pressèrent à l'entrée du Temple pour y déposer leurs offrandes.
Kendra s'arracha à la contemplation des ruelles urbaines pour se préparer. Sans un mot, sans une pensée, elle enfila sa tunique beige, sa cotte de maille, un pantalon fin, son plastron, sa ceinture et ses bottes. Elle fit rapidement son lit, cala son casque sous son bras et se dirigea vers la sortie.
En fermant sa chambre à l'aide d'une clé qu'elle passa autour de son cou, elle prit conscience du silence qui règnait dans le bâtiment. Pas un bruit provenant des chambres voisines, ni même de l'escalier qui était souvent plein à craquer d'officiers qui occupaient une chambre de fonction ici comme Kendra, et qui se bousculaient pour arriver à l'heure à l'Entraînement. L'Entraînement.
Kendra blémit d'un seul coup et s'élança à travers le couloir. Elle dévala l'escalier à toute vitesse et se rua au dehors, oubliant au passage de saluer l'aubergiste qui était affalé sur son bar.
On arrivait pas en retard l'Entraînement. Et surtout pas en sixième année de service. Le seul point positif, pensa Kendra pendant qu'elle remontait la Voie B52 à toute allure, c'est que cette course matinale allait radicalement lui changer les idées.
Chose dont elle avait impérativement besoin.
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Les pouvoirs du Néant
AdventureLe Néant est infini. Il est le Tout, il est le Rien. Il évolue et se stabilise. Le Néant est inoffensif. Le Néant est une arme. Et ça, Kendra le sait. EN PAUSE