4. L'éveil

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Le métro arrive lentement et s'arrête devant le quai. Les portes automatiques s'ouvrent et les passagers montent dans les wagons, tels des automates. Camélia trouve une place assise en face d'un homme avec un chapeau lisant le journal du jour. Il lève la tête et sourit à la jeune femme pour la saluer. Gênée, elle fait de même puis s'évade dans la musique qui joue à travers ses écouteurs.

Elle ne peut s'empêcher de repenser à Brenda et à sa folie. Elle n'a jamais imaginé que sa patronne pouvait être aussi... insolite. Des pouvoirs, une rune, des gens qui veulent la tuer. C'est d'une telle absurdité qu'elle en a presque envie de rire. Ou d'envoyer Brenda se faire soigner. Camélia sort son téléphone de sa poche et regarde ses messages : aucune nouvelle d'Adam. Elle commence à regretter son comportement envers lui. Elle a été si obsédée par cette farce qu'elle a laissé l'homme qu'elle aime de côté. Elle décide alors de se faire pardonner.

"Chéri, je suis dsl de t'avoir zappé. Je veux me racheter. Passe chez moi à 19h ?". Elle range son appareil et observe les gens autour d'elle. Ils semblent tous nerveux et pressés. La dure réalité de la vie citadine.

Le métro continue son chemin, s'arrêtant à chaque station, éjectant et emmenant des passagers si bien qu'à quelques stations de l'arrêt de Camélia, il ne reste plus que quelques personnes dans le wagon. La vibration de son téléphone la fait sursauter.

"J'apporte le vin". Camélia sourit en lisant le message d'Adam. Elle savait qu'il lui pardonnerait. Maintenant, c'est à elle de jouer pour récupérer son homme.

Le métro freine brusquement. Camélia manque de tomber à la renverse. Elle se lève et regarde par la vitre. Sa station est juste à quelques mètres. Elle soupire d'agacement. C'est toujours pareil sur cette ligne, il y a toujours des problèmes techniques. Elle regarde autour d'elle et est étonnée de voir qu'elle est seule dans le wagon.

"Que se passe-t-il ?"

Ou presque seule. L'homme au chapeau est là aussi. Camélia se tourne alors vers lui.

"Je ne sais pas, on dirait encore un problème technique.

- Ça arrive tout le temps sur cette ligne, c'est vraiment agaçant, réplique l'homme en faisant la moue.

- En effet, ça l'est."

Camélia guette le moindre mouvement dehors. Aucun technicien, aucun métro dans le sens inverse, il y a bel et bien un problème. Encore.

"C'est dans ces situations que je me dis qu'une voiture ce n'est pas si mal, dit-elle en souriant. Parfois c'est bien plus pratique.

- Oui, vous avez raison Camélia, répond l'homme d'une voix étrangement douce. Une voiture aurait probablement été préférable.

- Tout à fait. Et puis, c'est bien plus confortable d'avoir sa propre..."

Le corps tout entier de Camélia s'électrise. Elle se tourne vers l'homme qui la fixe avec un regard sombre. Elle recule d'un pas.

"Comment... comment vous connaissez mon nom ?", demande-t-elle, apeurée.

L'homme s'avance lentement.

"Je sais tout de toi Camélia. Tout. Et c'est pourquoi je dois le faire. Pardonne-moi."

D'un coup, il se jette sur elle et la saisit à la gorge. Camélia se débat mais il l'étrangle avec force. Elle essaie de hurler mais aucun son ne s'échappe de sa bouche. Elle ne comprend pas pourquoi cet homme lui fait cela. Pourquoi veut-il lui faire du mal ? D'instinct, elle lui assène un coup de genou dans le ventre. Il la relâche en se tordant de douleur. Elle court dans le wagon, appuie sur les boutons d'ouverture de porte mais rien ne se produit. Elle essaie d'ouvrir une fenêtre, mais elle n'y parvient pas. Et l'homme se rapproche d'un pas déterminé. Elle essaie de forcer la porte mais en vain, elle est bien trop lourde. L'homme arrive à sa hauteur et la frappe au visage. Elle tombe brutalement au sol et, reprenant rapidement ses esprits, rampe jusqu'au levier d'arrêt d'urgence. Elle tente de l'abaisser pour prévenir quelqu'un mais l'homme agrippe ses cheveux et la traîne en arrière. Elle hurle mais personne ne l'entend, personne ne vient à son aide. Il se met au-dessus d'elle et sort un couteau de sa poche.

"Pourquoi vous faites ça ?!", crie Camélia, les larmes baignant ses joues.

Le visage de l'homme se tord en une grimace de douleur. Il prend une profonde inspiration.

"Je n'en ai pas envie mais je dois le faire, Camélia, déclare-t-il d'un ton froid. Pour l'équilibre du monde.

- Mais je ne suis pas un danger ! Je ne peux même pas faire de mal à une mouche ! Je vous en prie, laissez-moi partir, je ne dirai rien à personne, je ne porterai pas plainte, je vous en supplie !"

Mais il ne l'écoute pas. Il lève son bras et abat la lame sur la poitrine de Camélia qui, dans un dernier élan d'instinct protecteur, porte ses bras devant son visage en fermant les yeux. Quelques secondes s'écoulent et rien ne se produit. Aucune douleur, aucun mouvement, aucun bruit. Camélia ouvre les yeux et baisse ses bras tremblants de peur. La pointe du couteau est suspendue dans l'air tandis que l'homme, quant à lui, ne bouge plus du tout. Son regard est toujours aussi sombre et froid, son corps est toujours chaud et résolu mais c'est comme si... comme s'il est figé dans l'espace et le temps.

Le cœur de Camélia tambourine dans sa poitrine. Elle ne comprend rien, que se passe-t-il ? Qui est cet homme ? Que lui est-il arrivé ?

Le métro relance sa course dans un crissement strident de ferraille rouillée. Sans attendre, Camélia pousse son agresseur en arrière qui tombe lourdement sur le dos, sa position demeurant stoïque et aucunement naturelle. Elle se jette contre la porte du métro et appuie frénétiquement sur le bouton. Elle n'a jamais été aussi effrayée de toute sa vie. Le wagon arrive à quai, les portes s'ouvrent et Camélia se précipite dehors, se retrouvant au milieu de la foule. Elle se retourne mais n'aperçoit pas l'homme. Les voyageurs la regardent avec un air étrange mais elle ne s'en inquiète pas. Elle dévale les escaliers, emprunte le souterrain, passe les portes de sortie et court à toute allure dans la rue en direction de sa résidence. Elle heurte plusieurs personnes sur son chemin mais ne cherche même pas à s'excuser. Elle venait de se faire agresser, elle allait mourir. Cet homme voulait la tuer pour maintenir l'équilibre. De quel équilibre parlait-il ? Pourquoi tout le monde devient fou à son contact ? Pourquoi tout ceci lui arrive-t-il maintenant ? La petite fille, Brenda, cet homme... Plus rien ne va dans la vie de Camélia.

Elle atteint son immeuble, effrayée et essoufflée. Courbée, les mains sur les genoux tremblants, elle tente de reprendre son souffle. Elle s'arrête et se redresse lentement, les yeux écarquillés. Elle vient de réaliser quelque chose de complètement insensé :

Il n'y avait personne dans le wagon à part cet homme et elle.

C'était l'heure de pointe et le wagon était vide.

Le métro s'est stoppé à quelques mètres de sa station.

L'homme qui a tenté de la tuer a été figé comme par magie.

Ils étaient seuls.

Et si ce problème technique n'était pas une coïncidence ? Et si le manque de personnes avait été planifié ? Et si cet homme savait parfaitement qu'elle serait à cette station précise, à ce moment précis, pour monter dans ce wagon spécifique et trouver la seule place assise qui s'avérait être celle en face de lui ? Et si c'était elle qui l'avait figé ?

Et si Brenda avait dit la vérité ?






L'éveil [En Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant