L'éveil [En Pause]

3. Magie Noire

La porte de la librairie claque violemment. Brenda prend une profonde inspiration. Elle n'a pas prévu cela. Après le passage de la tornade Camélia, la librairie a plongé dans un silence de cathédrale. D'un pas déterminé, elle se dirige vers le comptoir d'accueil, tire son portable de son sac à main et compose un numéro. Elle porte le combiné à l'oreille et patiente, le bruit de communication résonnant à travers toute la pièce dans un écho insupportable.

"Oui ? dit une voix grave à travers le haut-parleur.

- Viens immédiatement à la librairie, c'est urgent", répond Brenda nerveusement avant de raccrocher.

Elle se dirige ensuite vers la pièce des archives, s'approche d'une armoire et l'ouvre. Des dizaines de livres aux couvertures poussiéreuses jonchent les étagères. Brenda les inspecte chacun et en tire un beaucoup plus gros que les autres. Elle souffle sur la couverture décorée d'inscriptions étranges et scellée par une serrure sur le côté. Elle esquisse un vague sourire tout en contemplant le livre et le caresse affectueusement de la paume de sa main droite.

"C'est quoi l'urgence ?"

Brenda sursaute et se cogne le coude contre l'étagère, faisant vriller quelques objets posés au-dessus de l'armoire. Elle lève les yeux au ciel avant de se retourner et de jeter un regard noir à la personne derrière elle.

"Bon sang Annaëlle ! s'écrie-t-elle avec colère et consternation. Combien de fois t'ai-je déjà dit d'arrêter d'apparaître ainsi ?

- Au cours de ce siècle-ci ou du dernier ? demande la dénommée Annaëlle en posant un doigt sur ses lèvres, feignant une réflexion. Parce que les chiffres varient."

Brenda grogne tandis qu'elle referme l'armoire puis se tourne vers Annaëlle. Elle s'arrête brusquement et regarde son amie de la tête aux pieds.

"Quel est cet accoutrement ?", lui demande-t-elle avec mépris.

Annaëlle arrête de mâcher son chewing-gum et jette un coup d'œil à ses vêtements : un pantalon en cuir accompagné d'un t-shirt noir imprimé d'une tête de mort, des bottines motardes, un perfecto noir et enfin un sac clouté porté en bandoulière. Elle repose son regard sur Brenda et esquisse un large sourire en coin.

"Pas mal, hein ? Alors, reprend-elle en balayant la pièce d'un regard hautain (elle n'a jamais aimé les espaces clos). C'est quoi cette urgence ? Parce que je te signale que j'étais en plein rencard.

- Tu as toujours des rencards ! Tu en as chaque jour ou presque.

- Je ne vois pas où est le mal. Le XXIème siècle est tellement plus divertissant. Les Mortels aiment s'amuser et rester libre de s'amuser, je ne fais qu'en profiter moi aussi. Je suis comme un enfant dans un magasin de bonbons. Tu devrais t'y mettre aussi. A quand remonte la dernière fois qu'on s'est occupé de tes fondations ?"

Brenda fait volte-face, le visage rougi de honte.

"Anna ! s'écrie-t-elle, la voix teintée d'embarras.

- Je dis simplement qu'il n'y a pas de mal à se lâcher un peu, répond-elle simplement en haussant les épaules. Je peux t'aider avec cette urgence, tu sais.

- Ce n'est pas pour ça que je t'ai appelée ! (Elle tousse avant de reprendre plus calmement) On a un problème de taille : Sélène."

Anna contemple ses ongles colorés au vernis noir et les inspecte un à un. Au nom de Sélène, elle s'arrête et lève les yeux vers Brenda en arquant un sourcil aussi noir que ses cheveux.

"Tu m'as fait figer mon rencard uniquement pour me parler de cette mégère ?

- Oui parce que c'est très impor... Comment ça tu as figé ton rencard ? demande Brenda sur un ton apeuré. Tu as utilisé la magie en public ?!

- Qui t'a dit que j'étais en public...?" répond lascivement Anna.

Brenda grimace tandis qu'Anna se mord la lèvre inférieure en un grand sourire mystérieux. Depuis qu'elles se connaissent, Anna n'a jamais été très soucieuse de la morale.

"Ça m'étonnera toujours de voir que malgré les siècles qui passent, tu ne mûris pas pour un sou, Anna."

Anna éclate d'un rire glacial.

"Je suis une Sorcière après tout. Bon alors quoi, Sélène ? demande-t-elle d'une voix blanche.

- Elle est de retour et cette fois-ci, elle n'a pas perdu de temps. Elle l'a marquée d'une rune de Dissipation.

- Je croyais que les Neutres l'avaient enfermée ?

- Je le pensais aussi mais apparemment elle s'est évadée ou nous nous sommes simplement trompées. Le fait est que Camélia est actuellement en danger. Nous devons la protéger", continue Brenda tout en sortant de la pièce, le gros livre à la main.

Anna la suit du regard avant de se dissiper en un nuage de fumée et de réapparaître dans la salle principale de la librairie, devant une table sur laquelle Brenda a posé le livre. Elle pointe du doigt le manuscrit et fronce les sourcils.

"C'est quoi ça ? demande-t-elle de sa voix grave.

- Un grimoire, répond Brenda. Nous devons trouver Sélène avant qu'elle ne mette la main sur Camélia.

- J'ai bien vu que c'était un grimoire. Non, ce que je veux savoir, c'est quel genre de grimoire."

Brenda s'immobilise, la tête baissée vers le livre, une main sur la serrure, prête à l'ouvrir. Elle ne répond pas.

"Brenda, reprend doucement Anna, si tu comptes utiliser de la magie noire pour traquer Sélène, sache que c'est une mauvaise idée. Cette magie a toujours une conséquence et tu sais que je suis bien placée pour le savoir.

- Quelle autre solution avons-nous ? s'emporte Brenda. Je suis prête à tout pour protéger Camélia des griffes de cette Sorcière !

- Même à y laisser ta vie ? C'est vrai que c'est beaucoup plus facile de protéger quelqu'un lorsqu'on est mort. Très noble.

- Arrête ton sarcasme", souffle Brenda en jetant un regard noir à Anna.

En un éclair, le livre disparaît des mains de Brenda qui échappe un cri de stupeur et se retrouve dans celles de la Sorcière. Elle le contemple sous toutes ses coutures de ses yeux gris.

"J'ignorais que tu l'avais toujours en ta possession... Si tu veux traquer Sélène, déclare-t-elle gravement, on va le faire à ma façon."