Il était couché en chien de fusil, prostré depuis désormais deux heures. Il restait immobile. Honteux. Peiné. Désespéré ? Oui, également. Son but n'était aucunement de faire du mal autour de lui. Pourtant, c'est ce qu'il avait fait. Sans même le vouloir. Il se sentait pitoyable. Misérable. Mais tous les remords du monde ne pourraient changer les tournures qu'avaient prises les choses. Aoi resterait à jamais ce garçon pathétique, quoiqu'il essaye de faire pour changer la situation.
- Aoi !
Le jeune homme sursauta violemment en entendant le timbre grave de son père. Son cœur s'emballa, sa respiration s'accéléra. C'était le moment. Ce moment qu'il avait tant redouté. Des larmes lui montèrent aux yeux, mais il se força à les contenir et descendit les escaliers doucement, les jambes tremblotantes, en se tenant à la rambarde. Lorsqu'il arriva dans le salon, il tomba par terre, sans comprendre ce qui lui était arrivé. Il porta la main à sa joue brûlante, qui venait de recevoir une gifle monumentale. Il ne sentait plus le côté droit de son visage, engourdi par la douleur. Aoi n'osa relever la tête, de peur de voir l'expression rageuse de son père.
- Tu n'as pas quelque chose à me dire !? vociféra Kaijo Kademo.
Son poing était de nouveau en l'air, menaçant de s'abattre derechef.
- Non, papa, arrête !
- Ne m'appelle plus « papa » ! intima l'homme, le visage empourpré par la colère noire dans laquelle il était. Désormais, ce sera juste Kaijo-sama, je ne te considère plus au même rang que nous, tu n'es qu'un déchet. Un misérable déchet ! Tu as compris ?
- O... oui, Kaijo-sama...
Appeler son père par ce nom lui faisait horriblement mal. Mais il savait que cela se passerait comme ça, lorsque Muhime lui avait dit avoir découvert sa relation avec Chiba. Il ne savait par quel moyen il l'avait appris mais il ne s'était pas privé pour l'annoncer à qui voulait l'entendre. Et évidemment, ayant le numéro de ses parents, il les avait prévenus en premier. Et à partir de maintenant, sa vie allait devenir un enfer...
- Espèce de... commença le paternel avant de mettre une autre gifle à son fils, qui s'écroula sur le sol.
Il le prit par le col et le força à se relever. N'ayant pas la force de tenir seul sur ses jambes, Aoi se laissa porter, sans bouger, le regard vide d'émotions. Son père le reniait, le frappait, l'insultait, juste parce qu'il n'acceptait pas ses attirances sexuelles ? Mais qu'y pouvait-il s'il n'était pas comme lui le voulait ? Pourtant, s'il devait choisir entre son père et Chiba, il prendrait sûrement son géniteur. Mais uniquement dû au fait qu'il avait une peur bleue de lui. Pas parce qu'il l'aimait.
- Alors comme ça, tu aimes les hommes !?
Un poing s'abattit sur la joue du jeune homme et un filet de sang ruissela de sa lèvre. A chaque coup, il avait l'impression que les fils invisibles le reliant à Chiba se déchiraient. A chaque insulte, les liens tissés durant l'année s'estompaient. Il supporta les brimades et les gifles pendant dix minutes, laissant son père souiller son amour-propre, le traiter à cause de son homosexualité, le brimer. Il ne fit rien. Ne répondit rien. La tête baissée. Impuissant.
Lorsqu'il ne parvint plus à se lever, le visage contusionné, Kaijo s'arrêta de le battre. Cependant, il le prit ensuite par les épaules et le releva en le faisant s'appuyer contre le mur, de sorte qu'il soit droit face à lui et puisse le regarder dans les yeux. Il croisa le regard noyé de larmes de son fils, ainsi que sa pommette quelque peu gonflée, dû à un œil au beurre noir naissant.
- Tu aimes les hommes ? demande-t-il tout en espérant une réponse négative de la part d'Aoi.
Le garçon hocha la tête, presque imperceptiblement, décidé à ne cacher aucune vérité à son père, quitte à se faire renier davantage.
- Pourquoi ? fit Kaijo, désespéré et atterré qu'Aoi puisse aimer les personnes de même sexe que lui.
- Tu... pourquoi vois-tu cela comme ça ? Pourquoi me renies-tu parce que je ne suis pas comme tu aurais voulu que je sois !? Pour quelle raison ne m'acceptes-tu pas comme je suis !? questionna l'enfant en grimaçant, des élancements se manifestant dans son visage et ses côtes.
- Tu me dégoûtes !
Le paternel eut l'air de réfléchir.
- Tu l'aimes, n'est-ce pas ?
Il parlait de Chiba. Il savait. Mais cette question était-elle un piège ? Aoi fronça les sourcils.
- Qui ?
Il reçut un coup de poing dans l'estomac et eut le souffle coupé. Le visage entier de son père avait viré au cramoisi, preuve qu'il ne tarderait pas à exploser.
- Ce pédé. Comment s'appelle-t-il déjà ? Ah oui. Chiba.
- N'insulte pas Chi...
Un nouveau coup l'empêcha de continuer sa phrase. Du sang s'échappa de sa bouche, coulant sur son menton et il gémit de douleur. Des perles salées rejoignirent ce liquide incarnat, mouillant abondamment la peau extrêmement pâle d'Aoi. Des sanglots s'échappaient de sa bouche et il ne faisait rien pour les stopper. Il pleurait sans retenue, provoquant chez son père un plus grand dégoût. Comment osait-il prendre la défense de ce déchet !? Comment !?
Kaijo donna un coup de genoux dans le bas-ventre d'Aoi, qui tomba lourdement sur le sol. Une sensation indescriptible le traversa de manière fulgurante et il rendit sur le sol. Cette souillure répugna davantage l'homme qui le toisait. Une grimace déformait ce visage auparavant si paternel et joyeux, que le jeune adolescent avait aimé, et même, il l'avait vénéré durant toute son enfance. Il se souvint à ce moment des félicitations qu'il avait reçu lorsqu'il avait été admis dans une prestigieuse école. Il se rappela les larmes de joie qu'il avait pu apercevoir lorsqu'il avait présenté ses premiers résultats au collège.
Alors que son père continuait à le rouer de coups, tous plus violents les uns que les autres, Aoi se demanda si l'amour qu'il éprouvait pour Chiba n'était pas plus fort que la peur qu'il éprouvait envers son géniteur. Certes, il tremblait à chaque fois qu'il entendait sa voix caverneuse, mais s'il arrivait à lui dire, ne serait-ce qu'une fois, une toute petite fois, ce qu'il avait réellement sur le cœur, il se sentirait soulagé. Et même, libéré d'un poids : celui de la trop grande pression qu'exerçait son père sur lui. Il se projetait déjà en train de fuguer avec celui qu'il aimait plus que tout au monde. Il se voyait...
L'effusion soudaine de sang provenant de son nez et la douleur fulgurante qui avait suivi le craquement sourd de son arête nasale le fit revenir à la réalité. Il hurla. D'énormes tâches blanches commencèrent à obstruer sa vue et il cligna des yeux frénétiquement, essayant vainement de trouver une échappatoire à son imminent malaise. Soudainement, il se sentit porter puis jeter. Sa tête claqua violemment contre un objet qu'il n'identifia pas, son esprit étant trop embué par la douleur qui électrisait son corps tout entier.
Il lui sembla qu'une silhouette se dessinait à l'horizon. Sa vision n'était plus qu'une étendue blanchâtre, où l'on pouvait apercevoir un halo lumineux, ainsi qu'une personne. Elle lui semblait familière, mais malgré cela, il ne parvint pas à mettre d'identification sur cet individu. La voix feutrée qui parvenait jusqu'à ses tympans lui sembla désespérée, implorante, et il en eut de la peine, sans savoir réellement pourquoi. Il ressentait. Mais ne comprenait pas.
Un voile noir s'abattit soudain devant lui, l'empêchant d'entrevoir la moindre lumière. Il fut entraîné vers le bas, dans le vide. Dans l'immense noirceur de l'oubli. Il plongea dans l'ignorance béante de sa nouvelle existence, qui ne deviendrait qu'une vie remplie de souvenirs inventés. Un nom se détacha cependant de son esprit avant qu'il ne sombre.
« Chiba. »
VOUS LISEZ
Liens inflexibles.
Romance« La mémoire peut se modeler, Les souvenirs peuvent ainsi être manipulés et tissés de toute pièce. Malgré cela le cœur reste lucide, et il n'oublie jamais la personne qu'il a un jour aimée. »