Troisième partie.

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Une légère brise soufflait sur le village de Kamakura. Chiba s'arrêta, les cheveux dans le vent, et releva la tête afin d'observer le ciel gris et sombre. Avait-il bien fait d'aller si vite ? Certes, il avait éprouvé du plaisir, mais il n'était pas parvenu à dire qu'il l'aimait. Le jeune homme avait bien vu son air triste, ce voile de mélancolie qui avait traversé les yeux de son compagnon lorsqu'il n'avait pu répondre qu'un misérable « merci ». Il s'en voulait un peu et au fond de lui-même, germait l'idée qu'il n'était pas quelqu'un de bien pour Aoi. Lui qui avait une grande sensibilité, ainsi qu'un avenir certain, poussé par des parents ambitieux et aimants.

Chiba, quant à lui, n'avait eu droit qu'à un père alcoolique et une mère dépressive, ne s'occupant même pas de ses enfants. Durant toute son enfance, il avait dû se débrouiller, travailler et étudier ardûment afin de parvenir aux résultats qu'il obtenait désormais. En un sens, il était jaloux d'Aoi, qui avait toujours eu ce qu'il souhaitait. Peut-être était-ce pour cela qu'il ne parvenait pas à lui dire « je t'aime ». Et si, en réalité, il avait coupé ce lien fragile qui les unissait en croyant le renforcer ?

Le jeune homme baissa la tête en se mordant les lèvres.

Eprouvait-il encore des sentiments pour Aoi ? Pire. En avait-il jamais eu ? Ce lien ? N'était-il pas qu'une chimère inventée par son esprit ?

Sans qu'il ne sache réellement pourquoi, Chiba avait un mauvais pressentiment. Il ressentait cette gêne lorsqu'un incident allait survenir, sans savoir quand ni où. Il sentit à travers son cuir chevelu des gouttes de pluie. Relevant la tête, il constata l'assombrissement soudain du ciel et fronça les sourcils.

Aoi.

Il avait l'impression qu'un danger le guettait. Cependant, il ne fit pas demi-tour et continua son chemin jusqu'à chez lui. Sur le pas de sa porte, en proie à beaucoup de tourments, dont son mauvais pressentiment, Chiba se stoppa net. Ce pincement au cœur ne lui disait rien qui vaille. Et, ignorant son père qui venait d'ouvrir la porte d'entrée, il se précipita vers le lycée, courant à perdre haleine.

Mais pourquoi n'était-il pas retourner plus tôt au lycée ? Pour quelle raison n'avait-il pas surveillé le comportement de Muhime vis-à-vis d'Aoi ? Lui était-il arrivé du mal ? Tandis que ces questions se bousculaient dans son esprit, il se rapprochait de l'établissement. Aveuglé par cette jalousie, il n'avait pas rebroussé chemin.

Pauvre idiot !

A quelques mètres, il aperçut l'homme le plus important de son existence. Il se tenait droit, fixant l'horizon d'un œil hagard que Chiba ne vit pas à cause de l'obscurité naissante en cette heure tardive. Il enlaça Aoi et, conscient de la peur qu'il venait d'avoir, pour rien en l'occurrence, il se promit de lui dire qu'il l'aimait lorsqu'il le raccompagnerait chez lui. Il se sentait désormais assez fort pour lui avouer ses sentiments. Cette angoisse qu'il avait éprouvé le prouvait. Il avait eu peur que Muhime fasse du mal à son petit-ami.

- Lâche-moi.

Les yeux de Chiba s'écarquillèrent suite à cette demande faite froidement. Incapable de prononcer la moindre parole, il se laissa faire lorsqu'Aoi se dégagea de son étreinte, le visage impassible, contrastant avec l'expression choquée de son ami.

- Qu... pourquoi !?

L'aîné se retourna et attrapa le fin poignet de son compagnon. Celui-ci ne fit pas volte-face et Chiba put apercevoir des soubresauts réguliers, ressemblant à des sanglots.

- Tu... pleu...

- Tais-toi ! hurla Aoi, la voix tremblante. Tais-toi...

- C'est eux ? C'est Muhime qui t'as fait du mal ?

Aoi se retourna pour regarder son ami, les yeux remplis de larmes contenues et exprimant une tristesse immense.

- Ils... ils savent... sanglota le plus jeune des adolescents.

- Qui ? Muhime et sa bande ?

- On ne peut plus se voir Chiba-kun. C'est devenu... impossible.

- Mais pourquoi !? Pourquoi Aoi-chan !?

- On ne peut plus. C'est tout.

- Je ne te comprends pas.

- Je ne te demande pas de me comprendre, Chiba-kun. Je souhaite juste que tu acceptes mes décisions. La situation s'avère déjà assez difficile pour moi. N'en rajoute pas. S'il-te plaît.

Choqué par les propos de son compagnon, Chiba ne put que hocher la tête, regardant, impuissant, les joues noyées de perles salées d'Aoi. Il ne faisait pas cette rupture de son plein gré, il en était sûr. A en juger par son expression affligé, cela ne pouvait être que cela. Muhime lui avait-il fait, ou dit quelque chose ? Que s'était-il passé lors de la corvée ?

- Attend Aoi-chan, je voudrais te dire une dernière chose avant que tu ne partes !

- Chiba... ne... rend pas les choses plus complexes qu'elles ne le sont.

- Aoi ! appela Chiba en courant pour rattraper son ami. Je... je...

Il s'arrêta soudainement, le corps voûté, comme si la pluie qui tombait pesait une tonne. Au loin, se préparant à tourner à la prochaine intersection pour rejoindre son domicile, il vit la silhouette du jeune homme qu'il aimait tant et qui avait chamboulé son existence.

- JE T'AIME !! hurla-t-il en s'écroulant à genoux sur l'asphalte, des larmes inondant son visage désespéré.

Mais Aoi était déjà loin depuis longtemps, désormais plongé dans les abîmes de la tristesse...



Chapitre un peu plus courts que les autres. Dîtes-moi ce que vous en pensez ^^ ;-)

Liens inflexibles.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant