Chapitre 1

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"Toute fin est un nouveau départ"

Le Kitsune avançait, dans les ruines de l'hôtel où avait eu lieu l'affrontement entre Misao et Yoko contre Shijo. Les corps inanimés des deux jeunes Kitsune avaient été transportés dans un temple construit à leur effigie, dans le jardin de la Maison du Kitsune. Cela faisait deux ans qu'ils étaient morts. Et pendant ces deux ans, bien des choses avaient changé. La déesse-mère Inari exerçait son pouvoir d'une main de fer et même lui, Cauld, ne pouvait se soustraire à elle. Il était pourtant son frère! Le plus vieux Kitsune existant. Inari tuait sans vergogne ceux qui ne respectaient pas ses règles. Autant dire que le peu de Kitsune qu'il restait étaient terrorisés et n'osaient plus sortir. La moitié nord du Japon était sous l'entier contrôle de la déesse. La moitié Sud était occupée par les Neko, les Tanuki et autres divinités. Ils avaient réussi à résister à l'empleur de la rage de la Déesse-mère Inari. Quelques Kitsune chanceux avaient réussi à aller au Sud, mais avaient été obligés de passer par voie terrestre car les voies magiques étaient très surveillées. Le Japon était divisé en deux et les humains eux-mêmes le ressentaient. Ils se cachaient, restaient cloîtrés dans leurs maisons et n'en ressortaient que très rarement.
Cauld soupira. Il posa son sac à terre, l'ouvrit, et en ressortit huit bougies. Il claqua des doigts ; un compas d'un mètre de haut apparut. C'était cela, son pouvoir. Il pouvait faire apparaître n'importe quel objet. Au fil des temps, il avait réussi à décupler les possibilités de ses pouvoirs. Quand il avait appris qu'il était capable de faire cela, il pouvait à peine faire apparaître une noisette. À présent, faire apparaître un camion ne lui demandait aucun effort.
Il traça un cercle de presque un mètre et demie de diamètre, plaça les huit bougies à distance égale sur le cercle, puis se plaça au centre, en tailleur. Il leva les mains, prit une grande inspiration. Il tourna ses paumes vers le sol, expira lentement. Son esprit était hors de son corps ; il traversait les dimensions, voyageait jusqu'au Paradis du Kistune.

~_~_~_~

De l'autre côté de la vie, au Paradis du Kistune, Misao sentit quelque chose. Toutes les âmes s'arretèrent de bouger. Il y avait quelque chose d'anormal. Shikuro, le Grand Prêtre, demanda par lien télepathique le calme. Tous les Kistune le regardèrent, inquiets.
Un vivant venait de faire son entrée dans le Paradis du Kistune. Ça n'était pas normal. Une petite présence peut être ressentie lors d'une prière que fait un humain à un Kitsune, mais là c'était quelque chose de plus fort.
La colère monta. Misao cherchait Yoko. Elle se mit à courir, jusqu'en haut du palais, où elle retrouva son compagnon, assis sur un rocher, en train de contempler les bords flous de leur Île. En fait, les âmes tous les Kitsune blancs morts se retrouvaient au Paradis du Kitsune. C'était une immense île aux prairies vertes, aux forêts de sakura et de pins, aux rivières et étangs à l'eau turquoise, avec trois soleils et sept lunes. Quand on allait en haut de la seule montagne de l'Île, on voyait le Palais, là où tous les Kitsune vivaient. Et du haut du Palais, on pouvait voir toute l'Île. Elle était tellement immense qu'on en voyait pas les bords. Yoko était parti tout à l'Ouest pendant quelques mois, et quand il était revenu, il avait dit que les bords de l'Île étaient une sorte de brouillard. Il avait fait tomber une pierre de plusieurs kilos et il était sûr qu'elle n'avait pas touché terre. Les bordures de l'Île étaient donc des nuages.
Au Paradis, personne ne parlait. Ça ne servait à rien et puis leurs liens télepathiques étaient tellement puissants qu'ils ne communiquaient plus que par transmission d'émotions. De plus, leur âme avait pris une consistance corporelle ; ils pouvaient se toucher. Mais jamais ils ne s'épuisaient. Misao venait de gravir une colline en quelques minutes et n'était pas fatiguée.
Yoko la regarda. Il essaya de lui faire comprendre quelque chose par ses sentiments mais c'était bien trop complexe...
"'Sao... tu crois qu'il se passe quelque chose sur Terre?"
La jeune femme secoua la tête de gauche à droite.
"C'est pas normal qu'il y ait autant de kitsune qui meurent ces derniers temps... et puis cette Intrusion m'est familière. On dirait une part de Inari...
- J'en appelle aux Dieux Misao et Yoko! Je vous en supplie, écoutez-moi! Je suis Cauld, frère de la Déesse-mère Inari! Je vous prie d'accomplir tous mes vœux les plus chers!"
Misao attrapa le bras de Yoko. Ils se regardèrent, inquiets. Ils prièrent pour que Cauld ne leur demande pas de revenir sur terre...
"J'ai besoin de votre présence à mes côtés!"
Les deux kitsune sentirent leurs âmes se faire aspirer vers l'endroit d'où venait la voix de Cauld.
Shikuro, le Grand Prêtre, hocha la tête. Il leur signifia dans un dernier message telepathique qu'ils seraient les bienvenus au Paradis et qu'il les soutenait.
Quitter cette 'vie' où on ne manquait de rien et où on était des Dieux, sans souffrance ni autre sentiment négatif, était très dur à supporter. Il vallait mieux que ce soit important.

~_~_~_~

Les deux âmes quittèrent le Paradis du Kitsune, sans pourvoir y changer quoi que ce soit. Ils se sentaient aspirés jusqu'au bord de l'Île. Ils baissèrent la tête au moment où ils en sortaient, et quelle ne fut pas leur surprise en comprenant que le Paradis du Kitsune était une immense Île volante juste au-dessus de la Terre!
Tout devint noir. Aucun des deux ne savait ce qu'il se passait.
Ils sentirent d'un coup quelque chose de froid, de dur, quelque chose de douloureux et plein de souffrance.
Puis, un manque évident d'oxygène.
Misao prit une énorme bouffée d'air en ouvrant les yeux. Tous les mécanismes de la Vie lui revinrent. Il fallait qu'elle respire. Qu'elle inspire, et expire. Qu'elle cligne des yeux pour que ça ne lui fasse pas mal. Qu'elle avale sa salive pour ne pas s'étouffer avec.
'Misao? T'es où? Attend, ne parle pas. Je sais pas pourquoi... mais je sens qu'on devrait pas se faire remarquer. Essaye juste de me montrer où tu es...
- Je sais encore parler par télépathie, baka* Kitsune!'
Misao envoya à Yoko sa sourde colère. Celui ci lui répondit en retour un sentiment d'amusement.
'Comment on fait pour sortir de ce tombeau?'
Misao sentit une montée de claustrophobie s'emparer d'elle. Ils étaient dans un cercueil?! Elle leva les bras, et toucha le bois sur ses côtés et au-dessus d'elle. Oui, elle était bien dans un cercueil. Elle qui pensait que sa vie ne lui était tout simplement pas revenue...
'Je sens que quelqu'un vient!'
Décidément, Yoko était plus préparé qu'elle à revivre. Il avait apparemment déjà repris ses pleins pouvoirs, alors que Misao, elle, arrivait à peine à former une pensée cohérente.
'C'est un humain. Il vient prier. Tiens, il nous demande de protéger sa fille, Érika. Je sens une autre présence... Attend! Mais c'est Midori! Et derrière elle... Cauld! Ils doivent attendre que l'humain parte avant de nous faire sortir.'
Misao commençait à étouffer. Tout ce qu'elle avait saisi, c'était protéger Érika, Midori, Cauld et sortir. Elle eut envie de taper du poing sur le bois pour qu'ils viennent plus vite. Elle n'avait plus d'air, elle allait mourir alors qu'elle venait juste de revivre! Elle sentait déjà que son cœur faiblissait à cause du manque d'air.
'Tiens bon, 'Sao!
- J'étouffe...
- Ils arrivent bientôt!
- Je vais..
- Non! Je veux des enfants avec toi! Tu t'en rappelles? On avait dit qu'on voulait quatorze petits monstres roux!
- Quoi?! Mais j'ai jamais voulu d'enfants moi! Surtout pas avec toi!
- Tu vois que ça marche! J'en veux trois avec les yeux verts! Et quatre avec la peau aussi blanche que toi! Je veux que des Baka kitsune, comme moi!
- Rêve!
- Misao, mon amour...
- M'appelle pas comme ça! Je te tue la prochaine fois que tu oses sortir ce mot en parlant de moi!
- Mon cœur!
- Ta gueule!
- Hé, c'est pas digne d'une déesse ça!
- Parce que vouloir me faire des enfants c'est digne d'un Dieu peut-être?!
- Digne d'un baka Dieu!
- Raaaaaah, Yoko je te promets que...
- Chut!'
Misao arrêta. Elle envoya un peu de stupeur à Yoko, qui lui répondit de l'agacement.
Elle put distinctement entendre un bruit de fracas, puis un grincement. Elle dut fermer les yeux à cause de la lumière. Elle se sentit empoignée, puis soulevée.
"Lève-toi, vieux, dit une voix féminine qui ressemblait à celle de Midori.
- Genre je dois porter 'Sao et toi tu ordonnes à Yoko de se lever?
- J'use de mes pouvoirs, c'est tout. Bon, dépêche de les faire disparaître avant que quelqu'un nous voie."
Misao avait l'impression d'avoir du coton dans les oreilles. Elle plongea dans l'inconscience.

*baka veut dire 'idiot' en japonais. On le met devant le nom parce qu'en jap' c'est comme ça :p

Les Kitsune Yoko et Misao (Tome II : Sang Sacré)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant