Chapitre 1.

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Il était presque dix-sept heures, lorsque, rentrée du club de mathématiques, j'avais aperçu une silhouette sombre dans le jardin, depuis la cuisine. Pendant un instant, j'avais pensé qu'il s'agissait de Papa. Puis je m'étais souvenue qu'il assistait à un congrès sur la chirurgie dentaire, et ne rentrerait que plus tard, dans la soirée.

Comme la forme restait immobile, je pensai que c'était mon imagination qui me jouait des tours. J'avais détourné la tête de la fenêtre, puis regardé une seconde fois : le jardin était tout ce qu'il y avait de plus normal, et seule la brise faisait doucement osciller la balançoire. J'avais secoué la tête, m'en voulant à moi-même d'être aussi crédule.

Je m'étais préparée un thé, fort agréable par ce temps froid, que même la cheminée parvenait difficilement à faire oublier. Puis je m'étais attablée devant mes devoirs, soupirant devant la dissertation que je devrais rendre le lendemain pour le cours de psychologie. Je n'avais que trop repoussé ce devoir, et j'allais maintenant passer la soirée à plancher dessus.

Une heure plus tard, j'avais migré dans le salon, pour profiter de la chaleur des flammes, et je m'appliquai à machouiller mon crayon, devant une feuille désespérément blanche. J'essayai vainement de me rappeler pourquoi j'avais choisi d'assister aux cours de psychologie, moi, scientifique dans l'âme, lorsqu'on frappa à la porte. Je soupirai de soulagement, ayant une bonne excuse pour quitter mon poste.

Ma surprise fut grande lorsque le battant s'ouvrit sur Adam. Des flocons blancs s'étaient accrochés à ses cheveux sombres et bouclés, et il respirait bruyamment, comme s'il venait de courir un marathon. Adam était en terminale, tout comme moi, mais nous n'avions que le cours de mathématiques en commun. Je ne lui avais jamais vraiment adressé la parole, m'en tenant au strict minimum, comme bonjour et en revoir. C'était un garçon solitaire et taciturne. Toutefois, de nombreuses filles soupiraient après lui (mais il n'avait jamais répondu favorablement à chacune des demandes qu'il avait reçues). Ce que je comprenais aisément : lorsqu'il souriait - phénomène rarissime - son visage s'éclairait et ses dents blanches ressortaient sur son teint bronzé. Ses yeux s'animaient également, et je m'étais sentie fondre lorsque j'avais observé le phénomène.

- Adam ? interrogeai-je, ne croyant guère à l'apparition devant mes yeux.

Il se balançait d'un pied sur l'autre, nerveux, et ne cessait de jeter des regards fréquents derrière lui.

- Cela t'ennuie si je rentre ? me demanda-t-il. Il fait froid dehors.

- Oh oui bien sûr, entre.

Je me poussai pour le laisser passer, puis refermai la porte derrière lui. Adam resta de longues secondes silencieux, fixant la porte. Je n'osai parler, la situation étant beaucoup trop étrange pour moi.

- Tu es toute seule ? demanda-t-il si soudainement que j'en sursautai.

- Ouais, mon père ne devrait rentrer que dans la nuit, et ma mère... n'est pas là non plus.

S'il ne dit rien, je vis bien à son regard qu'il se posait des questions. Mais je n'avais pas envie de m'enfoncer plus dans le sujet, aussi détournai-je la conversation.

- Tu veux boire quelque chose ? Thé, café, chocolat ?

- Un chocolat serait le bienvenue, répondit-il. Merci.

Je hochai la tête et me dirigeai vers la cuisine. Je signalai à Adam qu'il pouvait s'installer dans le salon en attendant, mais il se contenta de me suivre. Il s'était accoudé au comptoir, et je pouvais sentir son regard suivre le moindre de mes gestes, tandis que je lui préparai un chocolat chaud. Une fois la tasse dans le micro-onde, je me retournai vers lui. Le silence devint alors très génant. Je n'osai lui poser les questions qui me brûlaient les lèvres. Quant à Adam, il observait distraitement la cuisine.

Frissons. [Mini-Fiction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant