Chapitre I

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Yorkshire, août 1819,

Augustus Belmont, marquis de Dorchester, leva son verre dont le cristal taillé miroita sous l'éclat des lustres et se tournant vers le siège vide à sa gauche :

"Je porte un toast à notre invité, le duc de Maverick !

— Ça le fera peut-être venir, dit son frère Dale sur le ton de la plaisanterie.

— À Oxford, Sebastian était connu pour sa ponctualité. Il aura été retardé. Avec la police du comté qui traque le fugitif, ce n'est pas étonnant."

Grace, sa belle-sœur et ex-fiancée, laissa échapper une exclamation : « Mon Dieu ! Nous ne sommes pas en danger, j'espère. Mes chers petits..."

Les yeux d'Augustus croisèrent ceux de son épouse Rebecca placée à sa droite. Ils pensaient tous deux à la même chose. Grace et Dale étaient les heureux parents de jumeaux alors que chez eux, il n'y avait aucune naissance en vue au bout de trois ans. À part ce manque, nous connaissons un bonheur parfait, songea-t-il. Il ne regretterait jamais d'avoir épousé Becky au lieu de sa sœur. La certitude d'être aimé pour lui-même et pas pour son titre lui avait donné l'assurance qui lui faisait défaut

"Cet individu ne se risquerait pas à Dorchester Manor, ma chère, dit-il à Grace. Il est peut-être loin à cette heure. D'après le squire, il était l'un des meneurs de la manifestation de Manchester."

La voix de Rebecca s'éleva, pleine d'indignation : « Une abomination. Ces pauvres gens réclamaient simplement plus de justice et d'égalité. Ils ont été sabrés, tirés comme des lapins ou piétinés par la foule. Des enfants figuraient parmi eux, et les femmes étaient en première ligne. Je les admire de toute mon âme."

Augustus la considéra affectueusement. En plus d'être magnifique dans sa robe grenat aux manches collantes, Rebecca était dotée d'un cerveau bien fait. Elle lisait le Times, le London Chronicle et le Morning Post et se tenait informée de l'actualité. Néanmoins, il s'écria : « Diable, Becky ! Seriez-vous devenue Radicale ? Pour une marquise de Dorchester, ce serait une nouveauté.

— Non, pas Radicale ; simplement humaine."

La timidité empêcha Frances, sa cadette, d'applaudir. À l'inverse de Becky, elle ouvrait rarement la bouche pour donner son opinion. D'ailleurs, elle savait fort peu de choses sur les récents événements. Ici, à Dorchester Manor, on n'en avait perçu que de faibles échos. Les fermiers de son beau-frère vivaient bien, contrairement aux ouvriers de villes comme Manchester. Elle se rappela les nombreux mendiants vus à Londres. Des fainéants, aux dires d'Alice, leur domestique. Ne leur donnez rien, miss Frances.

La réponse de sa femme avait amené sur les lèvres d'Augustus un sourire indulgent. Il l'aimait, mais il ne la prenait pas au sérieux. Pourquoi les hommes considéraient-ils systématiquement les femmes comme des mineures, même les intelligentes comme Becky ? Et Augustus n'est pas le pire, se dit Frances. Son accueil chaleureux et le don d'un châle de dentelle lui avaient ouvert son cœur. Il l'avait toujours traitée avec gentillesse : jusqu'à cet été.

« Eh bien ! s'écria-t-il. Mon toast n'a pas eu l'effet escompté. Le fiancé de Frances n'est toujours pas là. »

Les poings de la jeune fille se crispèrent sur la nappe damassée. Cette union voulue par tous les membres de sa famille l'épouvantait à l'avance. Comment Becky pouvait-elle approuver ce projet après s'être mariée par amour ?

« Ne t'en fais pas, Frannie, osa même dire cette dernière. Il va arriver."

La remarque de trop. La jeune fille se leva et fusilla sa sœur du regard, avant d'englober les autres convives : Son père, Augustus, Dale et Grace dans une profonde détestation. Ils restèrent saisis face à ce coup d'éclat émanant d'une fille réputée si douce, si malléable. Jetant sa serviette sur la table, elle tourna les talons et quitta la pièce sans tenir compte du : « Frances, voyons ! » de son père.

Frances et son ducOù les histoires vivent. Découvrez maintenant