Chapitre VIII

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Au déjeuner, Frances se trouva placée à côté de Mac Gill. Tout en dégustant sa tranche de gigot d'agneau, il ne cessait d'épier sa voisine. Les autres, pris par leurs conversations ou le contenu de leur assiette n'avait rien remarqué. Frances se tenait raide sur son siège de peur de frôlements malencontreux. Le policier se penchait vers elle plus que la bienséance ne l'y autorisait, au point de l'incommoder avec une forte odeur de transpiration, mal masquée par des effluves d'eau de Cologne bon marché. Il finit par observer :

— Vous picorez comme un moineau, miss Frances. Je parie que vous avez déjà goûté aux provisions de votre amie de Barlow.

Sous l'intonation aimable, perçait un mélange de raillerie et de suspicion que la jeune fille avait appris à connaître... et à redouter. Elle n'avait pas osé vérifier si Justin dormait toujours, l'installation de leur hôte suscitant des allers-et-venues entre l'escalier et le couloir. La remarque de Mac Gill n'avait pas échappé à Becky. Celle-ci s'adressa à Frances d'un ton de reproche :

— Je serais bien allée avec toi. Pourquoi ne pas m'avoir proposé de t'accompagner ?

— Je n'y ai pas pensé.

— Cela se comprend, dit Mac Gill à qui on ne demandait rien. Miss Frances a la tête ailleurs ; elle se fait du souci pour son fiancé.

Devant cet incroyable toupet, Frances resta muette tandis qu'Augustus entrait dans la discussion :

— Nous nous en faisons tous. Le cocher ne sait rien de plus ?

— Non. Je l'ai renvoyé à Londres pour le cas improbable où le duc y serait retourné.

— Improbable est le mot, renchérit Dale.

Un sourire de triomphe se dessina sur les lèvres épaisses de Mac Gill ; il frotta ses mains boudinées l'une contre l'autre.

— En effet, c'est une hypothèse que je ne retiendrai pas. Pourquoi venir ici pour ensuite rebrousser chemin, surtout quand on a une promise aussi délicieuse ?

Frances aurait voulu rentrer sous terre. Les sourcils du marquis s'étaient imperceptiblement froncés, mais lord Stanton approuva avec chaleur :

— Je suis d'accord avec vous, Mr Mac Gill. Ma Frances est un vrai trésor. Toutes mes filles, d'ailleurs.

— Père ! s'exclama Becky. Pas devant un étranger.

Lord Stanton arbora aussitôt un air contrit. Comme s'il n'avait pas entendu, Mac Gill se mit à pérorer. D'après lui, Justin Brécourt avait attaqué le visiteur pour le détrousser. Il avait besoin d'argent pour disparaître. D'habitude, il jouait et trichait pour financer ses actions. En France, le ministère de l'Intérieur le considérait comme un dangereux agitateur.

— Nous avons été avertis de son passage en Angleterre. Hélas, nous l'avons perdu à Douvres pour le retrouver au premier rang des meneurs de Manchester. Profitant de la panique, il nous a à nouveau filé entre les doigts. Mais je l'attraperai, je le jure, ajouta-t-il d'un ton venimeux.

Frances pâlit. Par bonheur, Mac Gill était trop occupé à plastronner pour s'en apercevoir. Grace abonda dans son sens :

— Je l'espère bien. Le savoir à rôder aux alentours me rend nerveuse.

— Vous n'avez rien à craindre, Milady ; je vous protégerai.

Oubliant son premier réflexe de peur, Frances vibrait d'indignation. Que ne pouvait-elle rétablir la vérité, leur dire à tous à quel point ils se trompaient sur le fugitif ! Becky demanda quel âge il avait.

Frances et son ducOù les histoires vivent. Découvrez maintenant