Un jour, quelqu'un a dit à Rei : « Tu sais quoi ? En japonais Rei veut dire zéro. Tu porte bien ton nom ! » Rei n'a pas d'argent. Rei n'a pas d'ami. Rei n'a pas de maison. Rei est seul, seul avec son ombre. Rei n'a rien, Rei n'est rien.
C'est un cercle infini de négation qui se répète à chaque seconde qui passe. Et si il lui arrive un instant de l'oublier, d'être heureux, alors quelque chose se produit inévitablement. Quelque chose qui lui rappelle sa tristesse et sa solitude, sa vie qu'il mène en noir et blanc, en décalage des autres, sans jamais ce que certains appellent le bonheur ou l'amour. Pour lui, il n'y a que la peur et les larmes.
Voici Rei. Il habite au numéro 75 de la rue Mitaine, la vieille maison derrière les cerisiers. Le bâtiment est grand et insalubre. Il date des années 60 et lui a été légué par sa grand mère le jour de sa majorité. Trop de mauvais souvenirs pour la mamie et trop laid pour la vente, il convient parfaitement à son propriétaire.
En ce moment, le jeune garçon est en train de commander à manger. Sa voix est basse, rauque, il ne parle pas souvent et ne veut pas sortir. La pièce est équipée d'un canapé miteux et d'une télévision dont l'écran est fracassé. Elle est poussiéreuse et sent le renfermé, personne ne fait le ménage.
Elle est aussi entièrement plongée dans le noir car ça doit bien faire deux semaines que l'ampoule est tombée en panne. De toute façons, Rei n'aime pas beaucoup la lumière et les persiennes sont fermés. Tout plutôt que de voir la saleté dans laquelle il évolue. L'ombre le flatte, elle lui donne une sensation d'irréalité et de liberté. L'obscurité ne le gène pas, il connaît la maison par cœur, chaque détail, chaque recoin.
Il sait qu'il faut sauter la troisième marche de l'escalier parce qu'il y a un trou dedans. Qu'il ne faut pas laisser traîner sa nourriture sans surveillance (les rats ne sont jamais loin), quels raccourcis emprunter pour aller d'une pièce à l'autre le plus vite possible et même comment trouver les yaourts qui ne sont pas encore périmés à l'odeur (même s'il se trompe parfois).
Aujourd'hui Rei s'est senti incroyablement fatigué, comme si un grand poids venait de lui tomber dessus. Il s'est laissé tomber plus qu'il ne s'est assis dans le canapé, dispersant un nuage de poussière alentour, et s'est assoupi. A son réveil, il fait nuit dehors et la pièce lui semble encore plus sombre.
Parfois, il songe qu'il aimerait se lever un matin et découvrir une salle ouverte, ensoleillée, remplie de lumière, de rire, de musique, avec une douce voix de femme chuchotant dans le lointain... Une parodie de bonheur, une utopie forgé par des années de rêves inutiles. Dans ces moments-là, il lui suffit de regarder autour de lui pour revenir à la triste réalité.
Rei aperçoit soudain une silhouette dans la pénombre. Il se frotte les yeux en croyant avoir rêvé et voilà que l'ombre s'approche jusqu'à être devant lui, tout près. C'est un homme, jeune, l'air mélancolique, les cheveux aussi noir que ses yeux profondément enfoncés dans ses orbites. Il a le teint pâle et de grand cernes : il est pathétique. Rei se lève par réflexe, il ne comprend pas mais il n'a pas peur. Une certaine familiarité se dégage de l'inconnu, une étrange impression de déjà-vu.
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Le Clone Triste
Short StoryRei est seul. Il est toujours seul. Mais voilà qu'un inconnu au visage triste apparaît dans sa maison ! Qui est-il ? Et surtout... que veut-il ?