Chapitre II

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Seulement trois jours après avoir débarqué dans ce taudis misérable, où les ressors du lit sont encore plus bruyants que les pleurs d'un enfant, je me trouve au bord de la crise de nerfs. La sueur commence à émaner fortement de mes vêtements, dans l'impossibilité de me changer ; la chambre dégage une odeur de moisi par manque de courants d'air ; et les crevasses présentes sur le matelas ridicule de la pièce ne m'offrent aucun sommeil. Néanmoins, je ne meurs pas encore de faim ni de soif, même si je doute que je puisse tenir encore longtemps avec la bouillie faisant office de ragout, qu'on m'apporte chaque jour.

Une jeune femme brune, d'environ cinq ans ma cadette, probablement tout juste sortie du lycée, est la raison pour laquelle mon estomac est toujours plein. Son visage, si jeune et aux traits fins, m'invite à penser qu'il ne s'agit peut-être pas d'une personne cruelle et sans cœur. Elle semble si innocente, d'une pureté sans faille. Sa peau d'ivoire, qui contraste avec le caramel de ses cheveux à hauteur d'épaules, est un exemple parfait de la tentation. Cependant, je n'ai aucun reproche à me faire. Être reclus et coupé du monde extérieur, s'avère être plus difficile que la plupart des gens pense. Lorsqu'on a la chance inouïe d'admirer la beauté d'une si belle créature dans ces conditions, on ne rechigne pas. Pourtant, la légère attirance physique que j'éprouve envers elle, est indéniablement futile. Cette brune, à l'opposé de ce qu'on appellerait une ténébreuse, ne ressent probablement pas le besoin d'avoir un amant, mais plutôt d'un protecteur. Elle est tellement silencieuse, parait si introvertie.

Pas une fois je n'ai croisé son regard lorsqu'elle dépose le contenant de mon repas sur le seuil de la chambre. Ses épaules sont généralement tendues, comme si une forme d'anxiété se construisait lorsqu'elle se trouvait en ma présence ; sa tête s'incline honteusement vers le bas telle une enfant coupable. Le peu de lumière extérieure qui filtre par l'interstice de la porte lorsqu'elle entrouvre celle-ci, la baigne dans un doux halo, oscillant entre le jaune et le blanc. C'est une vision fabuleuse à contempler.

Je ne connais pas son identité, sa voix ou ses pupilles mais je n'ai jamais été tenté de perturber sa routine restée intacte, de peur de l'effrayer ou pire, de la rendre en colère. En ce matin du quatrième jour, alors que je perçois ses pas derrière la cloison du mur, un son fluet mais curieusement tendrement beau, s'élève dans l'air ambiant. Il ne perdure qu'une poignée de secondes avant de cesser abruptement mais j'en ai assez entendu pour savoir de quoi il s'agit. Une voix. Une voix féminine, capable de chanter, de sonner comme les gazouillements paisibles d'un oiseau. Et je fais évidemment le rapprochement entre les pas légers comme de la brise et ce son divin qui s'est échappé des lèvres d'un individu.

Le frappement à la porte m'ébranle soudain. Je me ressaisis subitement, arrangeant sans savoir pourquoi les couvertures qui recouvrent mon lit, et me redressant en position indienne sur le tissus peu épais. Une tête aux boucles brunes apparaît dans l'encadrement et je me retrouve incapable d'éviter de regarder son visage.

Pour la première fois en quatre-vingt heures, des yeux bruns chauds, agrémentés de longs cils recourbés couleur ébène, font leur apparition dans mon champ de vision. Il m'est alors impossible de me concentrer sur un autre détail. Une ombre de compassion mais aussi de tristesse s'y enfouit profondément.

- La salle de bains se trouve à deux portes sur la droite. Laisse tes vêtements ici, je m'occupe de les laver. Enfile ce peignoir et sors sans faire de bruit. Tu as dix minutes.

J'en reste sans voix. La jeune fille m'a réellement adressée la parole.

Son ton est demeuré neutre mais à ses gestes, je réalise qu'elle souhaite véritablement mon bien. Néanmoins, je n'ai pas tout à fait enregistré ses mots, tant j'ai été distrait par le son de sa voix. Est-ce qu'elle m'a proposé de prendre une douche ?

The Enemy's Daughter (Auslly)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant