Coeur de pierre [Arrêté]

16. Coeurcoeurico

J'arrive devant l'appartement de Morgane habillée d'une salopette en jean et chaussée de bottes en caoutchouc rose.
J'avais survécu au voyage en métro ainsi habillée malgré les regards insistants des Parisiens moqueurs. Je survivrai bien à une journée à marcher dans la boue avec mes bottes roses! Ce n'est pas comme si je suis habituée à faire très attention à mon apparence.
J'entre dans l'appartement de ma meilleure amie comme s'il m'appartenait. Morgane, assise sur le canapé près de la baie vitrée arrête sa discutions avec son frère assis sur le fauteuil à côté lorsque je rentre dans la pièce. Maude est là aussi. Elle se tient derrière le siège de Mathieu et s'accroche au pauvre frère de Morgane comme à une bouée de sauvetage. Son visage peint se tend en un sourire moqueur. Elle me regarde de bas en haut avant de s'exclaffer :

-Ha! J'adore tes bottes! Elles sont tellement glamours! Tiens! Ça me donne même la chair de poule.

Mais elle se prend pour qui? J'ai ces bottes depuis mes quatorze ans où elles m'avaient été offertes par Céleste. Malgré leur apparence enfantine et stupide, je tiens beaucoup à elles.
Sait-elle que nous allons dans une ferme? Une ferme. Avec de la boue et des animaux qui sentent mauvais? Elle le sait ça? Alors pourquoi est elle maquillée comme si elle allait à un grand gala et qu'il fallait qu'on la voit de loin?

-Maude, tu compte draguer les canards, maquillée comme ça? Les hommes ne te suffisent plus?

À ma question, Maude ne répond pas immédiatement. Elle me fait le sourire le plus faux jamais vu en cherchant dans son cerveau aussi grand qu'une noix de cajou quoi répondre. J'entends Morgane pouffer dans un coin et Mathieu ne peut cacher un sourire.

-Mais ma petite Mylène, j'ai comme l'impression que les canards seraient sous mon charme vu que les hommes sont intéressés par moi. Car j'ai un homme dans ma vie et... (elle pose un doigt verni de rouge sur son menton pour faire mine de réfléchir) et non, toi tu n'en as pas. (après un petit silence, elle ajoute avec un sourire satisfait:) C'est toujours moi et pas toi.

Morgane a arrêté de rire. Son frère regarde ses pieds alors que j'encaisse le coup. Ouch. Je croyais que j'allais gagner cette fois. Comment connaît elle ma phrase? Celle que je répète si souvent à Morgane? C'est toujours elle et pas moi. Cette phrase d'enfant grognon que je prononce lorsque je suis seule avec ma meilleure amie ou avec ma soeur. Enfin que je me crois seule avec elles. Visiblement cette petite fouine n'était pas loin ou en tout cas assez près pour écouter.

***

Le voyage est passé lentement. Maude jacassait encore et encore sans s'arrêter, me donnant au passage un affreux mal de crâne.

-J'ai tellement hâte de voir ces gentilles bê-bête! s'extasie Maude alors que nous descendons de la voiture.

Nous suivons Mathieu jusqu'à un vieux bâtiment en pierre. Avant de passer la porte j'essuie mes bottes déjà salies par le peu de chemin parcouru.
Je suis le petit groupe et rentre dans la maison. Nous débouchons sur une cuisine un peu vieillotte. Une femme d'un certain âge arrive dans la pièce un sourire chaleureux aux lèvres.

-Bienvenue à la ferme! (Elle se tourne vers Mathieu.) Vous devez être la personne qui vient déterminer le prix de ma ferme?

Il hoche la tête et la dame nous fait signe de la suivre au dehors.
Elle marche devant nous et se retourne pour nous parler:

-Vous savez, dès que mon cher mari est parti -paix à son âme- j'ai su que je ne pourrais pas garder la ferme. Je n'ai plus l'âge et la force de tout faire toute seule.

Oh la pauvre ! Son mari est mort et elle doit vendre sa ferme...
Comme je suis la seule à écouter (Morgane inspecte d'un regard émerveillé chaque parcelle du terrain, Mathieu parle au téléphone quelques pas en arrière ; sûrement pour prévenir son patron qu'il était arrivé et lui demander quoi faire exactement et Maude est bien trop occupée à se plaindre sur le "laisser à désirer de la propreté des lieux".) je décide de lui poser une question pour ne pas la laisser parler seule.

-Où comptez vous habiter si vous vendez votre ferme?

-Oh je ne me suis pas encore décidée, peut être que je descendrai dans le sud pour retrouver ma famille.

Je lui fais un sourire tout en hochant la tête. Elle me sourit en retour et s'arrête devant une grande grange. Le reste du petit groupe nous rejoint quelques temps après. Aucun bruit ne vient déranger le silence à part le "cocorico" des coques et le bêlement des moutons.

-Monsieur Dabba, vous pouvez peut être commencer votre inspection ici. Jeunes filles, vous n'êtes sûrement pas venues pour nous regarder, les vaches sont dans le près derrière le bâtiment juste là et les chèvres de l'autre côté, nous explique-t-elle en nous montrant du doigt une petite étable.
Elle nous fait un clin d'œil et commence à s'enfoncer dans le bâtiment :

- C'est ici que nous stockons le foin pour les chevaux...

Je suis maintenant trop loin pour entendre la suite de ses paroles.
Nous nous élançons vers le champ.
Les vaches broutent tranquillement. Rien ne peut les déranger. Ce qu'elles ont l'air paisible! Je leur jete un regard envieux: les chanceuses! Je pense alors à leur poid. Non, c'est décidé, je ne veux pas être une vache.

-Oh Mylène, celle-ci te ressemble particulièrement! Sauf qu'elle n'a pas la chance d'avoir le même sens du style que toi... Même si je pense que des bottes roses lui iraient très bien.

Je regarde Maude puis explose de rire. Elle me regarde interloquée, elle pensait vraiment me blesser avec son insulte de maternelle? Je suis sûre que même eux font mieux ! De plus, elle n'est pas au courant que quelques secondes auparavant, je pensais au fait d'être une vache.

Nous continuons de marcher le long des barrière, le silence seulement troublé par les animaux. Morgane prend la parole pour poser une question à Maude qui amènera la discussion à un sujet quelque peu dangereux :

-Tu connais Dylan?

-Qui? répond cette peste d'un air innocent.

-Ne me prends pas pour une idiote, je t'ai vue discuter avec lui après qu'on soit aller dîner tout les deux.

-De toute façon Morgane, je ne vois pas en quoi est ce que cela te concerne.

En quoi est ce que ça la concerne? Haha. Ma meilleure amie va se donner à coeur joie de lui répondre!

-Ça me concerne parce que tu sors avec mon frère et que si tu vois quelqu'un derrière son dos, je me ferai un plaisir de lui dire pour qu'il ne s'encombre pas plus longtemps du boulet que tu es. Il est bien trop bien pour toi.

L'intéressée la toise quelques secondes avant de répondre sèchement qu'elle n'avait absolument rien à se reprocher.
Même la vache a levé la tête comme pour montrer qu'elle ne la croyait pas du tout.