Désillusion

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Lundi matin. Je devais retourner au collège encore une semaine avant d'accéder (enfin) à deux semaines de vacances. Une semaine infernale en plus à supporter. Les profs prenaient énormément de plaisir à nous surcharger de devoirs. Heureusement, ils semblaient décidés à nous lâcher pour ces vacances uniquement. Relâcher un peu la pressionavant ce fameux brevet dont personne à part eux ne se souciait. Jene vous décrirais pas ma morne matinée qui consista à m'ennuyer etdessiner. Est-ce que j'ai dit que je m'étais ennuyée ? Bref,Andrew ne m'avait pas refait signe depuis samedi. Pourquoi est-ce queça m'importait d'ailleurs ? Je n'en avait rien à faire, commedepuis toujours. Le midi, j'attendais mon tour pour la cantine surmon banc, tranquillement. Je regardais les gens vivre. En me disantun peu « C'est pas pour moi ». Je n'étais pas trèsdouée pour ce qui concernait la socialisation. Pendant les vacancesje tentais de me faire des amis, en me souvenant que cet attachementn'était que provisoire, et que rien ne pouvais me suivre là où jeretournerais à la fin de ce répit. Mais jamais, je n'avais réussieà engager la conversation. Ni même à la continuer pour tout dire.Bref, revenons à mon morne quotidien, sans grande agitation.J'observais les gens qui passaient, leur façon de se regarder, de separler, même de rire. Je ne savais même pas faire un beau sourire.Enfin, un sourire franc. Seule ma famille savait me faire rire. Et jefis le malheureux constat qu'Andrew m'avait fait rire lui aussi. Jelâchais un petit grognement très peu féminin. Cet imbécile avaitréussi à fissurer quelque peu la carapace que je m'étaisconstituée. Il n'était censé en filtrer que des sourires moqueursou de défi. À la limite. Et j'évitais de parler aussi. N'empêche,je l'avais bien envoyé boulé. Ce qui me procurait une sensationplutôt agréable de victoire. Je ne pus m'empêcher de retenir unsourire en repensant à sa tête dégoûtée quand il revenait trempéde la crique. Et quand je lui avais dessiné ce magnifique doigtd'honneur. Des quatrièmes pouffèrent en me regardant fixement. Jeme rendis compte que je souriais bêtement dans le vide. Je reprismon expression impassible et les fusillais du regard. Elle arrêtèrentde rire et se détournèrent. Tant mieux. J'étais contente de voirque les autres s'éloignaient de moi quand je le voulais. Je refusaisde repenser à samedi. Enfin, d'y repenser autrement que comme unehorrible journée où on m'avait forcée à parler avec quelqu'un quimarchait volontiers dans le système que j'évitais. Bref, je dusaller manger, et pour ça je m'assis à ma table habituelle. Unepetite table de quatre places dans le fond de la cantine, que lesgens n'utilisaient que quand il n'y avait vraiment plus de place. Jelâchais mon plateau et me laissais tomber dans la chaise en bois. Jecontemplais mes pâtes luisantes de gras. Au début, je croyais quec'était de l'eau, mais non, j'avais constaté que c'était bien unesorte de beurre. Je passais dix minutes à les tâter du bout de mafourchette, comme pour me demander si c'était bien sage de mangerça. Je me résolus à en enfourner une bouchée que j'eus du mal àavaler. Comme à chaque fois, c'était ignoble. Je fis une mouebizarre et me forçais à manger encore un peu. Je vis une silhouettes'approcher. Je priais intérieurement pour que la silhouette sedétourne et s'en aille. Mais non. Le corps que je voyais approchercontinua sa route et se laissa ensuite tomber en face de moi. Jeredoutais de lever les yeux, même si je savais déjà qui j'allaisvoir quand je le ferai. Et oui. C'était bien Andrew. Je luiadressais un regard noir et lâchais un magnifique :

- Dégage.

Il perditlégèrement son sourire convaincu. Et ouais, qui s'y frotte s'ypique mon gars ! Il me demanda alors d'un ton presque blasé.

- J'ai l'impression que tu ne m'aimes pas.

- Je dirais même que je te détestes.

Et c'était lavérité vraie. Il se rembrunit.

- Et pourquoi ça ?

- Et bien, si tu n'avais pas remarquer, je n'aimes personne en particulier.

Rose et tulipes rougesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant